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La calèche, traînée par quatre chevaux menés à grandes guides, n’avançait pourtant guère qu’au petit pas dans ces chemins aventureux, semés d’ornières. On allait ainsi, la main dans la main, le marquis songeant quelquefois à ses sermens violés et aux délices du ciel qu’il goûtait maintenant sans remords auprès de Violante. La jeune femme regardait la campagne, écoutait Martel ; son âme peu à peu se remplissait, et tout à coup s’épancha. Elle trouva des paroles émues pour louer tout ce que voyaient ses yeux à travers ce grand et continuel enchantement d’amour dont elle était entourée, et elle s’accusa de n’avoir pas compris plus tôt que cette nature était belle. Martel tressaillit de joie ; ce qu’elle venait de dire là lui allait au cœur. Elle lui avait demandé depuis trois mois bien des preuves de docilité et de tendresse, et il ne lui en avait refusé aucune. Il n’était qu’une demande, une seule qu’il redoutait : tout lui faisait croire que Violante songeait à lui proposer de quitter Croixde-Vie pendant la mauvaise saison qui approchait, et sans cesse il tremblait d’entendre sortir une telle prière de ces lèvres adorées qui ne devaient jamais prier en vain. — Vous verrez, dit-il doucement, que l’hiver même a encore ici du charme.

— Et ne sais-je pas bien ce qu’il vaut ce charme du vent, de la tempête et de la pluie ? s’écria en riant la jeune marquise. N’ai-je point déjà passé quatre hivers dans le manoir ?

— J’en ai passé bien plus au château, fit Martel ; mais alors je ne vous avais pas.

— Alors vous n’aviez que votre humeur sombre pour compagne, et vous en étiez satisfait. Que suis-je venue faire ici, moi ? Troubler ce bonheur-là, qui était étrange ; mais il vous était aussi bien cher.

— Violante !…

— Ah ! Martel, reprit Violante, peut-on aimer d’une si folle passion les lieux où l’on a souffert ?

— Les lieux où je suis né, interrompit-il, et où vous voilà maintenant descendue comme l’envoyée d’un autre monde…

— Oui, oui, s’écria la jeune marquise en recommençant à rire et en le menaçant du doigt, d’un autre monde, il est vrai, Martel. Et, se tournant vivement vers les deux valets de pied qui se tenaient derrière la voiture, elle p’ia qu’on allât lui cueillir des fleurs qui croissaient à quelque distance au bord d’une prairie ; c’étaient des colchiques, fleur gracieuse et délicate, signe brillant de l’automne dans les prés humides. Martel fit un mouvement pour s’élancer lui-même sur le chemin, mais elle le retint par le bras. — Non, non, dit-elle, pas vous.

Ce qu’elle voulait, ce n’était point de tenir ces colchiques, c’était de se délivrer pour un moment du regard des valets. Dès qu’elle les vit à terre tous les deux, elle se pencha vers Martel, et lui pré-