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REVUE DES DEUX MONDES.


XIX.

Le matin approchait lorsque Violante, sortant de sa chambre en robe de nuit, revint errer dans son boudoir. Les lueurs mourantes du foyer éclairaient seules ce salon coquet, tendu et plafonné de bleu comme le ciel. Un dernier jet de flamme s’éleva de la bûche à demi consumée, atteignit le testament parmi les cendres et le dévora en un moment. Violante s’était arrêtée devant la cheminée et regardait. Tout à coup la voix du marquis murmura son nom dans la chambre voisine. Après de longues heures passées en prières, en sermens, il s’était endormi. Il dormait, il rêvait d’elle, il la cherchait à ses côtés. Les puissances de l’amour n’avaient point cessé de le posséder sans partage, la douce influence l’emportait encore. Combien de temps devait durer ce semblant de victoire ? Violante s’affaissa sur le sofa. Le rude avertissement que Ghesnel avait voulu lui donner se retraçait à ses yeux en lettres de sang sur la muraille. Après tant de joies si cruellement reconquises, lorsque déjà elle se flattait que Martel lui était rendu pour jamais, après ce dernier triomphe, après ce dernier songe, quel réveil ! — Jusqu’à ce qu’un Croix-de-Vie fût près de naître ! avait dit Chesnel. Il ne savait pas… Violante porta la main à son sein. Est-ce qu’elle ne l’avait pas senti tressaillir ?… — Violante ! répéta le marquis dans son rêve. — Elle se leva, se traîna sur le seuil de la chambre, puis recula. Non, elle ne pouvait plus… La pensée de retourner près de Martel ne lui causait plus que de l’épouvante, cette voix qui l’appelait la remplissait enfin de plus d’horreur que de tendresse.

Quelle nuit ! Enfin l’ombre grisonna, le jour se leva triste et blême. Le silence n’était plus aussi profond à Croix-de-Vie, les pas de quelques serviteurs déjà debout, qui marchaient dans les grands corridors, firent tressaillir Violante. Ce bruit allait tirer Martel de ce sommeil bienfaisant qui pour lui était le repos et pour elle la liberté de la douleur. Elle se glissa doucement vers la porte qui faisait communiquer la chambre à coucher et le boudoir, et la ferma. Alors elle respira et s’habilla promptement. La lobe de nuit qu’elle laissa tomber à ses pieds était trempée de pleurs. Et pourtant dans un moment, si elle restait là, si Martel s’éveillait et l’appelait de nouveau, il faudrait qu’elle retrouvât son sourire. Ah ! dors, oublie, pauvre âme en peine ! pardonne à celle que le sommeil et l’oubli n’ont point visitée dans la longueur de cette nuit terrible, pardonne-lui d’aller un instant chercher loin de toi un peu de force et de courage, un court relâchement à cette contrainte déchirante, un peu de soulagement à cette feinte éternelle. — Violante sonna.

Les femmes de service n’étaient point levées sans doute, et c’est