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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

rameau ; mais au trouble héréditaire qui l’avait envahi sou, dain à son tour, n’allait-il pas reconnaître bien mieux que Martel V pourquoi il était frappé ? Son âme et son esprit étaient bien plus éclairés que l’esprit et l’âme de son père, il avait bien plus que lui médité dans sa tristesse hautaine et solitaire sur les malheurs de sa maison ; il savait où le destin l’attendait.

— S’il ne le savait point, se demandait Violante, pourquoi cette résolution qu’il avait prise en l’épousant de vivre à ses côtés comme un frère ? L’histoire de cette résolution si explicable à présent, elle ne l’avait jamais que vaguement connue par les gais propos de la douairière. Mme de Croix-de-Vie lui disait souvent en riant aux larmes : — Sans moi, mon fils n’aurait jamais osé vous aimer tout de bon. — Violante alors se souvenait de la nuit de ses noces et ne savait que penser. Pourtant une circonstance qui l’avait frappée était venue bientôt jeter du sens et de la couleur sur le badinage de la marquise. Martel un jour, peu de temps après leur mariage, s’épanchant près d’elle, avait laissé tomber cette parole significative : — J’avais cru tromper le destin en vous aimant, Violante, et c’est lui qui m’a joué. — Comment avait-il cru tromper le destin, si ce n’était en jurant de ne point perpétuer sa race ? Et comment le destin l’avait-il joué à son tour, sinon en lui rendant ce sacrifice impossible et en conjurant tout autour de lui pour qu’il violât ce serment ? Oh ! Violante n’ignorait pas à qui Martel devait sa démence de la veille, à qui elle devait elle-même la cruelle gloire d’être épouse aussi bien que celle d’être mère ! C’était à la douairière, à ses fines moqueries trempées au bout de l’aile du mal de son siècle, et dont ce grand, ce noble et simple Martel avait eu la faiblesse de rougir, au terrible émoi où la marquise était entrée en apprenant les bizarres projets de son fils si contraires à la loi universelle, aux usages du monde et aux devoirs d’un gentilhomme de haut lieu comme il était. les causes mesquines, misérables, toutes entachées de ce funeste esprit du temps passé qui se croyait délicat, qui ne fut jamais que sec et frivole ! Violante pourtant se doutait bien que la marquise en cette conjoncture étrange avait cru prendre son parti et travailler pour son bien ; elle avait pensé que la chasteté serait une peine pour celle que Martel jugeait digne de porter son nom et de marcher dans le monde appuyée sur son bras ! Et puis Mme de Croix-de-Vie avait voulu sauver sa maison.

Ah ! si Violante alors avait pu deviner les secrètes pensées du marquis et ce noble renoncement qu’il espérait d’elle, comme elle serait allée à lui la première ! Sans fausse rougeur, sans pudeur équivoque, elle lui aurait dit : — Me voici ! ne prenez de moi que ce que vous voudrez, pourvu que je sois la moitié de votre âme ! —