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— Je n’y ai jamais songé, reprit Violante à voix basse. J’espère que la folie des Croix-de-Vie me tenterait à mon tour !… Mais si je me déterminais à continuer de vivre, je ne voudrais affliger personne du spectacle de mon découragement et de ma tristesse, et je me retirerais seule, bien loin d’ici, dans ma maison de la montagne.

— Oh ! fit ironiquement M. de Bochardière, vous auriez encore la ressource de vous enfermer dans un couvent. Je vois avec plaisir et avec peine que vous aimez votre mari plus fortement encore que je ne le pensais.

— Qui l’a voulu ? s’écria-t-elle en se redressant tout à coup. Qui m’a jetée malgré moi sur le chemin de M. de Croix-de-Vie, que je fuyais avec tant de soin depuis trois ans ? Qui m’a circonvenue, assiégée, torturée jusqu’au jour où j’ai consenti à venir dans cette maison maudite ?…

— Bon ! interrompit l’avocat avec un calme étudié, je sais bien que c’est moi, et je ne suppose pas que vous m’en fassiez sérieusement des reproches. Vous avez été heureuse. Violante, dans cette maison maudite. Si jamais votre bonheur vous échappait, sachez bien qu’il faudrait en porter haut le souvenir et l’image, et surtout garder votre rang. La marquise de Croix-de-Vie retirée dans une façon de grande chaumière, à la montagne, quelle pitié ! Il est vrai que grâce aux empressemens de Mme la douairière, qui aurait voulu que les noces se fissent sur l’heure une fois la chose convenue, vous avez été pitoyablement mariée. L’honneur que nous faisait un Croix-de-Vie en vous épousant était trop grand, nous ne pouvions avoir l’air de le mettre à prix. Vous avez grand besoin de mes conseils à présent, ma fille, et moi je tiens fort à réparer les effets de mon imprudence passée. Aussi je faisais hâte ce matin pour vous trouver seule ; l’aventure d’hier me cause pour vous un grand souci. Je veux tout d’abord vous soumettre une réflexion bien délicate qui m’est venue pendant la nuit, et la voici dans un mot : si vous perdez votre illustre et cher mari, — cela est affreux à penser, — mais si vous le perdiez enfin. Violante…

— Je perdrais tout avec lui, murmura Violante… Ah ! je vous entends.

— Pas aussi bien que je le voudrais, reprit M. de Bochardière. Je n’ai pas tout dit. Il est une question que seul au monde je puis vous faire sans vous offenser, car je ne me lasserai point de vous représenter que je suis votre père… Ne portez-vous pas un enfant, ma fille ?

— Non, non ! s’écria-t-elle. Qui peut vous faire croire cela ?… Je vous jure que non, mon père !

— Tant pis ; un enfant est la meilleure des consolations. Et