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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

puis la mère garde la tutelle. La vie, après tout, est chose fort positive. Le deuil nous arrive ou nous menace, nous soutirons, nous tremblons, nous pleurons, — car vous ne pourriez soutenir que vous n’avez pas pleuré toute la nuit. — Eh ! mon Dieu, si grandes que soient nos douleurs, nous ne sommes pas moins toujours forcés de nous y arracher quelques momens pour songer à des choses répugnantes, amères, j’en conviens, mais nécessaires. Votre douaire est mal réglé, Violante, ou plutôt il ne l’est point. Votre mari cependant vous aime sans doute autant que vous l’aimez. Il doit avoir pris soin de marquer expressément ses volontés dernières. Ce n’est jamais là qu’affaire de prudence. J’ai lieu de croire que ces dispositions seront en faveur de celle qui lui avait dévoué sa vie. Cependant il vaudrait mieux pour vous qu’il n’eût point ce pénible devoir à remplir, et qu’il vous eût donné un fils.

— Un fils ! dit Violante en se tordant les mains sous son manteau. Le septième Croix-de-Vie ! De quelle mort pensez-vous que celui-là aurait fini, mon père ?

— Ah ! s’écria l’avocat, la légende vous occupe, et vous n’êtes pas superstitieuse ! Hier encore, vous auriez refusé d’y croire. Je vois votre tristesse et vos alarmes. Le marquis a l’esprit malade !… Je le devinais bien.

— Le marquis a l’esprit si sain et si net, reprit-elle d’une voix haute et vibrante, qu’hier même il a voulu remplir ce pénible devoir dont vous parliez tout à l’heure. Martel considérait ce devoir-là comme sacré. Tranquillisez-vous donc, mon père, le testament de M. de Croix-de-Vie n’est plus à écrire.

— Il est écrit ! fit M. de Bochardière. Hélas ! cela est toujours meilleur ; mais ce testament, le marquis vous l’aura remis sans doute ; qu’en avez-vous fait ?

— Je l’ai brûlé, dit Violante… Mon père, reprit-elle, voulez-vous que nous nous séparions ? Rentrez au château, je vous en prie, et ne me demandez pas en ce moment de vous y suivre. Si je restais auprès de vous, je vous dirais quel sentiment m’inspirent vos calculs, et je ne dois pas vous le dire. Vous m’aimez et je vous aime, mais vous savez bien que nous ne pourrons jamais nous entendre. Ce n’est pas vous qui m’avez appris à penser. Enfant, vous m’avez abandonnée aux soins de mon aïeule, vous êtes venu dans ce pays, vous y avez vécu, loin de moi, d’ambitions nouvelles. N’arrivais-je pas bien à point pour vous servir à les couronner il y a quatre ans ? Le marquis de Croix-de-Vie, dans toute la province, n’avait pu trouver de fille si pauvre, si délaissée, qui voulût mettre la main dans sa main sanglante, ni de père surtout qui consentît, quel qu’en fût le prix et l’éclat, à cette chose horrible. Vous, sans vous arrêter