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sanglotait à son chevet, elle lui avait pris la main, et lui montrant le ciel : — Violante, lui avait-elle dit, je vous suivrai de là-haut. Et maintenant dans ce grand écrasement de ses espérances et de son courage, Violante, se reportant de quatre années en arrière, s’adressait à l’aïeule tant aimée dans ce doux langage dont elle se servait parfois encore pour lui parler en cet heureux temps.

— Grand’mère, murmurait-elle, me voyez-vous ? — La douleur l’avait ramenée à la faiblesse, et la faiblesse la ramenait aux tendres habitudes et au ton caressant de l’enfance : — Grand’mère, dit-elle, priez pour moi !

Oh ! pourquoi l’aïeule était-elle morte si tôt ? Violante avait dû quitter la tranquille maison du Jura pour suivre son père, qu’elle ne connaissait point. Au lieu de l’atmosphère libre et pure de la montagne, elle avait respiré l’air épais du manoir ; au lieu des cimes neigeuses et des couchans dorés, ses yeux n’avaient plus rencontré d’autre horizon que la forêt monotone, éternelle, sinistre couronne de ce funeste Croix-de-Vie qui se dressait là-bas, dans son orgueil cinq fois réprouvé déjà, parmi les chênes. Dieu l’avait amenée de si loin, d’un autre monde, après lui avoir pris tout ce qu’elle aimait ! Ici elle devait aimer encore, mais de quelle force inconnue, de quelle ardeur plus profonde ! Et ce trésor de son cœur, cette ivresse de sa vie, le ciel se préparait encore à les lui reprendre. — Grand’mère, disait-elle tout bas, si vous me suivez de là-haut, saviez-vous donc ce que Dieu me voulait ? — Puis elle se souvint qu’à peine arrivée à Bochardière, un soir elle avait écouté l’histoire des Croix-de-Vie comme dans un rêve. À peine avait-elle mis le pied sur cette terre fatale, qu’elle s’était heurtée à la légende. Et cette légende, elle avait depuis follement espéré de la démentir ou de la vaincre. — Grand’mère, répéta-t-elle encore, priez pour moi ! — Mais le ciel, toujours enveloppé de ces nuées sombres et d’où tombaient en ce moment des pleurs glacés, ce ciel était insensible et sourd, et celle qu’elle appelait à son aide ne l’entendait pas. Violante, assise sur les degrés de la croix, mit son visage dans ses mains. Un moment après, elle y sentit passer un souille joyeux et tiède. Le chien Magnus l’avait suivie et venait la rejoindre. Elle attira Magnus vers elle, mit sa tête contre la sienne, qu’elle enveloppa de ses deux bras, et pleura ainsi longtemps en silence. Tout à coup Magnus fit entendre un sourd grognement. Violante releva la tête. — Lesneven était à quelques pas d’elle, devant la croix. Le maître des Aubrays lui avait bien dit qu’il ne partirait pas. Lesneven errait depuis la veille aux alentours de Croix-de-Vie, il n’avait pu s’arracher si tôt des lieux où respirait Violante, il sentait dans le fond de son cœur qu’il tenait aussi fortement que les chênes