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l’aide duquel les Romains établissaient ce qu’on peut appeler une chaussée complète. On creusait le sol à une certaine profondeur et l’on donnait à cette excavation la largeur que la route devait avoir ; on étendait alors dans cette espèce de cuvette une couche de mortier composée de chaux et de sable de deux à trois centimètres d’épaisseur. On plaçait sur ce mortier un lit de pierres larges et plates couchées les unes sur les autres et liées entre elles par un ciment qui les rendait étroitement adhérentes. Cette fondation s’appelait statumen. Par-dessus était établi le rudus, couche de béton formé de pierres plus rondes, ovales ou cubiques, de petite dimension, qu’on jetait à la pelle, en les mélangeant avec du ciment, et qu’on battait avec force, en sorte que cette seconde couche n’était pas moins compacte que la sous-jacente. Une couche imperméable de ciment de chaux et de tuiles battues, de la nature de celles dont on faisait les aires des granges et dite nucleus (noyau), recouvrait le rudus sur une épaisseur de 25 à 30 centimètres. C’était au-dessus de ces trois couches que les Romains établissaient la couverte ou endossement supérieur appelé par eux summa erusta, formée tantôt par un pavé composé de grands polygones irréguliers, généralement en Italie de pierres volcaniques, tantôt par une couche de cailloux (glarca) fortement cimentés. Quand la route était dallée, le cailloutage était ordinairement réservé pour les parties latérales de la chaussée, de manière à fournir aux chevaux une voie qui ménageât leurs pieds. Les quatre couches constitutives de la chaussée romaine offraient une épaisseur d’environ un mètre. Dans les voies les plus parfaites telle qu’était la voie Appienne, les deux lisières de la chaussée étaient renforcées par des marges en pierre de taille (gomphi) qui présentait un chemin pour les piétons. Au croisé des routes (quadrivia), les espaces angulaires étaient recouverts par le même cailloutage qu’on employait pour les accotemens. La description que nous a laissée Vitruve fit croire pendant longtemps que cette manière d’établir la chaussée devait se retrouver dans toutes les voies romaines. Nicolas Bergier, avocat au présidial de Reims, et qui a écrit au commencement du XVIIe siècle une histoire des grands chemins de l’empire romain, œuvre d’une érudition remarquable pour son temps, fit défoncer trois routes antiques aux environs de sa ville et crut y retrouver les diverses parties qu’énuraère l’architecte latin. Cependant les témoignages des anciens attestent que les Romains, qui n’étaient arrivés que par degrés à une intelligence si complète de la construction des voies, n’avaient pas dû établir dans les provinces des routes toujours aussi parfaites que celles dont était dotée l’Italie. La voie Appienne, ainsi que l’a observé L. Canina dans son ouvrage sur cette voie, ne fut pas dans