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touffes de plumes jaunâtres. Cinq plumes de la même couleur, à barbes ébouriffées et crépues, remplaçaient la queue. La forme du corps était à peu près celle d’un cube ou d’un dé à jouer ; un duvet de plumes grises, molles et douces au toucher, le couvrait en entier. Il était soutenu sur deux jambes noires, longues d’un décimètre et ayant presque autant de circonférence. Le dronte était plus gros qu’un cygne et pesait environ cinquante livres.

La faim poussa les matelots hollandais à tuer un grand nombre de ces animaux lourds et stupides qui se laissaient assommer sans résistance. Cependant la chair du dronte exhalait une odeur désagréable, elle était d’un goût si rebutant que tout l’équipage pris ensemble ne put jamais consommer plus de deux bêtes en une fois. C’est en souvenir des haut-le-cœur causés par ces repas que les Hollandais ont donné à cet oiseau le nom de walg-vogel, qui veut dire oiseau de dégoût. Ils l’appellent aussi dodaerts. Les Portugais le nomment dodo, en raison de sa stupidité, dit Herbert. Latham l’a classé parmi les autruches et en a fait un genre à part sous le nom de didus (didus ineptus).

Le massacre auquel se vit obligé l’équipage de l’amiral Wybrand a été funeste à la race du dronte. Dernier débris d’une génération d’animaux qui n’était plus de ce temps, sa vitalité était en quelque sorte épuisée ; il n’a point résisté aux persécutions répétées dont il a été l’objet. Déjà en 1607, c’est-à-dire neuf ans seulement après leur découverte, le nombre des drontes diminuait énormément sur la côte de l’île Maurice, au dire du commerçant Paulus van Soldt, dont l’équipage n’avait vécu pendant vingt-trois jours que de ces oiseaux et de quelques tortues. C’est en 1681 qu’il est fait mention pour la dernière fois de l’existence du dronte à l’île Maurice. Ainsi en moins d’un siècle il a totalement disparu de la surface du globe. Une forme créée, conçue par la nature, est rentrée dans le néant.

Il y a là quelque chose de plus grave que la mort, quelque chose qui trouble l’esprit. Nous sommes habitués à voir l’existence de l’individu arriver à son terme naturel ; il meurt, mais pour renaître dans sa postérité :

At genus immortale manet.


Combien de formes cependant sont ensevelies dans les couches successives de terrains superposés dont se compose l’écorce terrestre ! combien d’espèces ont probablement disparu sans laisser la moindre trace de leur passage ! Les temps historiques nous offrent plus d’un exemple de ces sortes d’événemens, et en y regardant de plus près nous reconnaîtrons qu’ils ne constituent qu’une des formes sans nombre sous lesquelles se manifesta une grande loi de la nature.

Sur la terre, il n’y a place que pour un nombre déterminé d’êtres vivans. La tendance à la multiplication indéfinie est sans cesse contre-balancée par de nombreuses causes de destruction. Dès sa naissance, l’individu est