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REVUE DES DEUX MONDES.

Prusse, disant à chacune ses vérités, récriminant avec courage, avec hauteur, sur la faute commise dans l’affaire des duchés, contestant la validité légale des actes des deux puissances, et revendiquant pour l’Allemagne le privilège d’agir en son propre nom. Naguère encore, lorsque la Prusse, avec des cris d’aigle qu’on va plumer, poussait si fort ses réclamations à propos des armemens saxons, il répondait que « les forces militaires de toute puissance confédérée étaient aux ordres de la confédération, et que la Saxe se tenait prête pour marcher dès que la diète l’appellerait. » Gagern, celui qu’on nomme encore en Allemagne « le grand Gagern, » parlant de son ami M. de Stein, écrit : « Au plus profond, au plus intime de son être était la soif d’agir. » Volontiers j’appliquerais ce mot au baron de Beust. Trop plein d’idées fécondes pour ne pas encourir le reproche de mobilité, trop réellement de son temps pour ne pas déplaire à ces conservateurs de vieille roche à qui la vie fait peur, M. de Beust se sépare du comte de Bismark de toute la distance qu’il y a entre une nature agissante et une nature remuante. Pour l’un, la Saxe est une sphère étroite, il y éclate ; pour l’autre, la Prusse est trop vaste, il s’y perd. Quand l’Allemagne sera faite, peut-être trouvera-t-elle en M. de Beust son ministre.

En 1813, lorsque les hommes d’état de l’Allemagne commencèrent à saisir des chances de retour vers un passé national, ils placèrent en tête de leur nouveau programme d’unité ces deux principes : indivisibilité de l’Allemagne et remise de la couronne impériale aux mains de l’empereur François. Il est plus que probable que des événemens auxquels nous assistons ressortira pour l’Autriche une suprématie du moins honorifique. Peut-être se retrouvera-t-on au lendemain de 1863 et de ce fameux Fürstentag de Francfort, présidé, on se le rappelle, par l’empereur François-Joseph avec tant de tact et d’autorité pondérative. Qu’est-ce maintenant que l’empereur ? Peu de gens en Europe le savent. En dehors de ce certain monde de plus en plus rare désormais, personne ne se forme dans le public une idée de ce caractère droit, modéré, détestant l’effet. Et penser qu’il existe encore de braves gens qui s’ingénient à vouloir travestir en tyran de mélodrame, en despote de fantaisie, l’une des natures les mieux faites parmi les souverains pour s’approprier les mœurs et les pratiques du régime constitutionnel ! Être un despote ! à coup sûr, l’empereur François-Joseph n’en eut jamais l’idée, et quand même il le voudrait, est-ce donc bien facile d’être un despote en un temps où les populations se transportent par masse et dans quelques heures d’un endroit à l’autre, où s’opère instantanément la transmission de la pensée humaine, et où l’opinion publique de tel pays libre supplée à l’opinion de tel autre qui l’est moins ou ne l’est pas du tout ? Les nations sont devenues tellement solidaires par le libre échange, les chemins de fer et la télégraphie électrique, qu’étant donnés en Europe plusieurs endroits où tout se sait, il n’en pourrait guère plus exister d’autre où tout pût se faire.

H. Blaze de Bury.

V. de Mars.