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LE DERNIER AMOUR.

eu les sentimens que je supposais. Le fait est qu’il n’y paraît plus aujourd’hui, et qu’il est très froid pour moi. N’y songez donc plus ; moi j’avais oublié tout cela, ne pouvez-vous l’oublier aussi ? Et faut-il que, pour quelques paroles imprudentes, vous soyez à chaque instant sur le point de me retirer votre confiance ?

— Non, certes, répondis-je, il n’en sera pas ainsi. Je veux oublier ; je veux accepter vos nouvelles explications, et je veux d’autant plus me préoccuper de l’éducation de votre enfant.

— Eh bien ! parlez-lui, répondit Félicie tranquillisée. Le voilà pour vous écouter et vous répondre ; je vous laisse ensemble. Et elle sortit comme Tonino entrait dans la salle, à ma grande surprise. Il vint à moi d’un air triste, mais sincère, et m’embrassa avec effusion.

— Vous paraissez étonné de me voir, dit-il ; ne saviez-vous pas que j’étais ici avant le jour ?

— Votre cousine ne me l’avait pas dit.

— Oh ! ma cousine est bien singulière avec moi à présent ! Elle ne m’aime plus du tout depuis qu’elle vous aime. Pourquoi cela, monsieur Sylvestre ? Que vous ai-je fait pour que vous me haïssiez, moi qui vous étais si attaché et si dévoué ? Voyons, voici le moment de s’expliquer. En arrivant ici à cinq heures du matin, je me suis arrêté naturellement devant le cimetière pour regarder la tombe de mon pauvre cousin. J’y ai vu ma cousine agenouillée. Je l’ai appelée. Elle a fait un grand cri, et, venant à moi, elle m’a dit que j’arrivais pour faire son malheur. Elle voulait me forcer de repartir tout de suite, et j’ai dû faire semblant de m’éloigner ; mais le chevreau connaît trop le bercail. Je suis venu ici par un détour, et j’ai encore vu Félicie en colère contre moi. Alors je me suis fâché aussi, et je lui ai dit que, puisque vous étiez à présent le seul maître, je ne me laisserais chasser que par vous. Parlez, monsieur Sylvestre, je veux bien vous obéir, moi, si je vous suis importun ou odieux ; mais dites-moi pourquoi ! N’ayant jamais rien eu à me reprocher envers vous, j’ai bien le droit de vous demander une franche explication.

Il parlait si ingénument que je lui répondis avec l’ancienne affection. Je le rassurai et je lui demandai s’il m’avait cru hostile au point de ne plus compter sur moi.

— Je l’ai cru, dit-il. Bien que ma cousine ait toujours pris sur son propre compte la résolution de m’éloigner, naturellement je vous attribuais ce changement à mon égard. Voyons, que faut-il faire ? Dois-je m’en aller tout à fait, ou rester ici un peu de temps, ou y rentrer pour toujours ? Du moment que vous êtes bon pour moi, tout ce que vous me conseillerez, je me ferai un devoir de m’y conformer.