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Tonino parut atterré un instant de cette dure mercuriale, qui me blessait moi-même, et tendait à me faire de nouveau suspecter la sincérité à laquelle je venais de me fier.

Il marcha dans la chambre avec agitation, presque avec colère ; puis, venant à moi et se mettant à genoux malgré moi : — Puisque ma cousine me reproche devant vous mes fautes, il faut que vous m’en accordiez le pardon. Eh bien ! oui, j’ai été jaloux d’une grande amitié qui allait lui faire paraître la mienne bien petite. N’est-ce pas naturel ? où est le crime ? Jamais un fils n’a vu sa mère se remarier sans avoir chagrin et peur. C’est de l’égoïsme, si vous voulez ; mais à mon âge on n’a pas la raison et la vertu du vôtre. On est un enfant, et vous avez tant d’indulgence, vous ! C’était à vous de me rassurer, de fermer ma blessure, de me dire que je serai encore quelque chose pour ma cousine et pour vous… Vous l’avez fait, je vous remercie, je vous crois ; mais elle ! pourquoi cette froideur et de si méchantes menaces ? On ne m’avait pas habitué à ça, moi ! Je devais être le soutien de sa vieillesse et le but de sa vie. Oui, voilà comment elle me parlait pour me rendre bon et sage quand j’étais petit. Voyez comme elle a changé ! Et si j’en souffre, est-ce mal ?

— En voilà assez, dit Félicie. Sois bon et sage, sois ce que tu dois être, et mon amitié te reviendra comme autrefois ; mais ce n’est plus si facile, je t’en avertis ! J’étais seule les deux tiers de l’année, je n’avais que toi à gâter, et je croyais bien ne me marier jamais. Mon sort a changé, j’ai eu le bonheur inespéré d’inspirer une grande amitié à un homme très au-dessus de moi, et qui est devenu tout pour moi. Ne faut-il pas que, pour ne pas contrarier un bambin de ta sorte, je renonce au devoir de consacrer ma vie à celui qui daigne l’accepter ? Nous sommes devant lui pour nous expliquer comme devant un juge et pour dire la vérité comme à Dieu. Tu as eu la hardiesse de prétendre me détourner du mariage ! Tu pouvais avoir quelque raison quand il s’agissait de Sixte More, et je te laissais dire : cela m’était bien égal ; mais quand tu as voulu me prouver que M. Sylvestre ne me considérerait jamais que comme une servante, je t’ai imposé silence. Tu as insisté, tu as été colère, presque insolent. Tu m’as offensée et tu m’as fait de la peine. Je n’ai pas voulu ennuyer M. Sylvestre de tout cela. Il ne l’a pas su. Il l’a peut-être deviné, il a eu la délicatesse de ne pas vouloir connaître les détails, et je l’en remercie. Tu me forces à les lui dire. Eh bien ! fais-toi pardonner, et ne recommence plus jamais, si tu veux que j’oublie ta sottise.

Tonino pleura de nouveau, et il plaida sa cause avec une candeur qui me vainquit entièrement. Je l’observais pourtant avec toute la clairvoyance dont j’étais capable, et rien dans son langage, dans