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LES PRÉCURSEURS ITALIENS.

temple des grands Italiens. La municipalité de Florence lui avait accordé cet honneur comme à un des grands ouvriers de l’unité nationale.

Qu’est-ce donc après tout que ce dernier venu à Santa-Croce ? Un poète, rien qu’un poète, une imagination épurée, disciplinée par le goût antique, enflammée par l’étude des annales italiennes, éclairée et conduite par l’instinct patriotique. Je me trompe : ce n’est pas seulement une intelligences c’est une âme, un caractère, une personnalité morale passant à travers l’histoire contemporaine. Son rôle n’a point été d’agir, de dominer ou de conduire les événemens ; son originalité, c’est d’être resté debout, c’est d’avoir représenté pendant toute une existence la même idée, audacieux d’esprit dans la vie la plus inoffensive, passionné et âpre de verve avec des mœurs douces, impétueux avec circonspection, mordant, ingénieux, aimable et incorruptible. Avec lui s’achève la race des grands Italiens, de Dante, de Machiavel, qui ont poursuivi de siècle en siècle le même rêve ; avec lui s’évanouit cette vie toscane dont il était une des personnifications par les goûts, par les habitudes, et qu’il dépassait par le génie. Sur la tombe du dernier des grands Florentins, comme on l’a nommé, c’est l’Italie qui se lève, qui marche, qui se déploie, qui règne à Florence, qui combat aujourd’hui, et si cet idéal de l’Italie indépendante et une a pu devenir une réalité, n’est-ce pas parce qu’il a commencé par être la passion de certaines âmes d’élite, l’obsession de certains esprits obstinés dans leur rêve, acharnés à leur pensée fixe, formant en quelque sorte une tradition d’espérances et de protestations à côté de la tradition des épreuves et de la servitude séculaire ?

Ch. de Mazade.