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tière industrielle et agricole, rien ne vaut contre l’expérience, c’est là le vrai critérium auquel on se doit attacher.


I.

Si les résultats obtenus dans divers pays pour la culture du coton n’ont pas répondu aux vœux qu’on formait et à l’espoir qu’on avait conçu, ce n’est pas que de très grands efforts n’aient été tentés. Partout où le climat et la nature du sol permettaient d’exploiter la précieuse fibre, on s’est jeté dans cette voie avec ardeur, parfois avec une sorte de fièvre. De tous côtés surgirent les plantations, et la première partie du programme des économistes se réalisa de point en point : le coton fut essayé d’un bout du monde à l’autre comme ils l’avaient annoncé. Restait à remplir la seconde partie du programme, produire avec le concours de tout l’univers autant de coton que le faisaient les seuls États-Unis. Ici les premiers expérimentateurs se heurtèrent à des difficultés que les statisticiens avaient négligé de prévoir, à des écueils qu’ils avaient omis de signaler. Nous allons raconter avec quelques détails l’histoire de ces méprises, en dégager autant que possible les élémens contingens et transitoires, et montrer sur quelle production totale il est permis de compter pour l’avenir.

Parmi les pays qui se signalèrent dans cette joute pour la production du coton, l’Egypte se place au premier rang. Elle a même réalisé un véritable tour de force : la récolte cotonnière n’y avait jamais dépassé, jusqu’en 1860,580,000 quintaux ; elle est montée successivement à 800,000 quintaux, 1 million de quintaux, et s’est enfin arrêtée au chiffre (un peu incertain cependant) de 1,800,000 quintaux[1]. Il semble que ce soit là un résultat merveilleux, un exemple éclatant et sans réplique des prodiges que peut enfanter la spéculation. Il y a néanmoins bien des ombres à ce brillant tableau. Le prix du coton brut avait plus que triplé ; il s’était élevé de 15 à 54 talaris le quintal. De là cette fièvre cotonnière, dont on ne peut se faire une idée en Europe, et qui, du fellah au bourgeois, du dernier artisan au plus haut fonctionnaire, s’empara un moment de toute l’Egypte. Cette production forcée et anormale, à laquelle tout fut sacrifié, au lieu d’enrichir le pays, attira sur lui une succession de fléaux. On fut d’abord menacé de la famine, et, chose inouie dans la fertile vallée du Nil, il fallut demander à l’étranger les grains et les farines pour nourrir bêtes et gens. Malgré les envois que faisaient Marseille, Trieste, Odessa, la panique s’en mêla, le grain monta à

  1. Le quintal de coton est de 45 kilogrammes.