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LA GUERRE EN 1866.

l’autre de la colonie un acte regrettable, le plus de travail possible ; pour cela, chaque colon stimulait la paresse naturelle de ces êtres méprisés par des mesures de coercition que la loi n’autorisait pas, mais qu’encourageait une sorte de complicité générale. De l’éducation des noirs, de ce qui devait amener leur émancipation réelle et définitive, il n’en était pas question. Aux États-Unis, rien de semblable. Les Américains sont maîtres du sol qu’ils habitent ; ils y sont nés et ne songent pas à en sortir. Ils n’y forment pas une caste peu nombreuse, ils composent une nation compacte ; le nègre est en contact perpétuel avec eux, il a reçu une première éducation grossière, qui lui a permis néanmoins de respirer leur souffle, de s’imprégner en une certaine manière de leur esprit ; il ne peut plus, dans un tel séjour, ni rétrograder ni rester stationnaire. Nous ne voulons pas affirmer qu’il y aura fusion, nous ne le pensons pas ; nous affirmons qu’il y aura progrès, et que la nature du nègre sera lentement métamorphosée, élevée à la hauteur de la société dont il fait maintenant légalement partie. L’esclavage a été une époque de transition entre l’état sauvage et l’état de civilisation. Les nègres n’auraient pas supporté un brusque passage, ils ne se seraient pas modifiés, et encore auront-ils longtemps besoin de tutelle, de direction, d’encouragement avant d’être des citoyens et de pouvoir être investis des droits politiques. Ce sont aujourd’hui des affranchis, ce ne sont pas tout à fait des hommes libres : ils ne possèdent pas encore ce fier sentiment de la dignité humaine et de la responsabilité personnelle qui caractérise les républicains au milieu desquels ils vivent ; mais ils sont à bonne école, ils y viendront. Enfin les nègres étant chrétiens comme leurs anciens maîtres, on ne doit redouter rien de semblable à ce que nous voyons aux Indes anglaises, où le fanatisme religieux creuse un abîme entre les indigènes et leurs dominateurs.

On peut donc compter que les nègres travailleront, que leur travail sera de plus en plus intelligent et productif, à mesure qu’ils seront plus instruits. Après avoir travaillé par nécessité, ils travailleront par devoir, puis par émulation, pour conquérir leur place au soleil, prendre rang dans la société civile. Revenons à la période actuelle ; c’est d’elle surtout que nous devons nous occuper, et nous occuper au point de vue de la production cotonnière ; or nous croyons que cette production sera plutôt augmentée que diminuée par la suppression de l’esclavage. — Celui-ci d’abord ne fournissait pas la main-d’œuvre à un prix aussi bas qu’on a bien voulu le dire. On a souvent donné le prix de la journée d’un nègre en tenant compte des faux frais, de la mortalité, des dépenses accessoires, et il est peu inférieur aux prix des journées d’ouvriers libres dans