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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

deux mains au lierre, il commença de monter. Tout alla bien d’abord ; les basses branches de l’arbuste gigantesque pouvaient supporter un poids plus lourd que celui d’un homme ; l’ancien gardegénéral était leste et robuste, il montait. Les feuilles de lierre écrasées sous ses pieds répandaient une acre odeur autour de lui. Une volée de grives attirées par ces baies noires, puis troublées dans leur maigre repas d’hiver, s’enfuirent à tire-d’aile. Le jeune homme avait dépassé la tête des aunes qui croissaient au milieu du fossé ; les chênes immenses, avec leurs longs bras étendus sur l’autre berge, le défendaient du côté de l’avenue de tout regard curieux. Il montait en sûreté, et sans crainte d’ailleurs il approchait du but désiré ; le jour versé par la brèche tombait déjà sur son front, mais les longues tiges du lierre devenaient plus menues et plus cassantes. Lesneven pourtant ne se décourageait point, il poursuivait sa folle ascension. Tout à coup la périlleuse échelle manqua. Plus de branches. Du point où se trouvait le jeune homme jusqu’à la brèche, rien que le mur, et dans cette muraille glissante une seule crevasse. Lesneven y planta son poignard, et sans hésiter mit le pied sur ce nouvel échelon si hardiment improvisé, tandis qu’il s’accrochait d’une main au bord de la brèche. Par malheur le poignard était trop faible, la lame se tordit, une pierre céda, Le.sneven roula dans l’abîme.

Il était tombé sur le lit épais des osiers qui recouvraient presque entièrement la douve. Point de blessures, point d’évanouissement après cette terrible chute, et cependant le jeune homme restait étendu sans mouvement ; mais sa pensée demeurait active. Un grand éclat de rire sortit tout à coup de ses lèvres, les déchirant au passage, et il se retrouva debout. Cette aventure hardie qu’il avait voulu courir et qui finissait par cet accident ridicule ne semblait-elle pas l’image de tout ce qui lui était arrivé depuis quatre mois ? Des rêves dont la vanité n’avait d’égale que la folie, des entreprises téméraires que ne justifiait aucune espérance, et qui se terminaient par des chutes semblables en tout à celle qu’il venait de faire du haut de cette insolente muraille, voilà pourtant à quoi il avait employé ce long moment de sa vie ! Tout lui démontrait cruellement son impuissance ; mais son humiliation n’était pas au comble, il prévoyait quelque égarement plus complet encore de son esprit, quelque abaissement plus profond de son cœur. Impuissant à se faire aimer de Violante, impuissant même à la voir, impuissant à s’éloigner d’elle, impuissant surtout à se faire à lui-même la seule justice qu’il méritât, et à mourir ! La mort ne voulait pas de lui, puisque, roulant dans un abîme, il avait trouvé ce lit d’osier pour le recevoir, et qu’il se relevait sans blessure. Il remonta sur la berge.