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se refit un chemin dans les buissons, à travers les épines, et regagna l’avenue. Croix-de-Vie se montra devant ses yeux ; la prison qui gardait Violante était toujours close et muette, le château se dressait dans la brume, ses profils immenses se détachaient sur le fond uniformément gris d’un ciel morne. Tout à coup la cloche de la chapelle se mit à sonner, la porte d’honneur s’ouvrit. Une longue file d’hommes et de femmes apparut dans l’avenue. Ils sortaient du hameau de Croix-de-Vie, situé à l’est de l’enceinte, et s’acheminaient silencieusement vers le château. Ils tenaient des chapelets à la main. La cloche sonnait, tout ce monde allait à la chapelle prier pour le maître malade. Les yeux de Lesneven s’étaient jetés dans la cour par cette porte ouverte, mais il eût fallu s’avancer jusque sur le seuil et doubler les communs du regard pour apercevoir l’aile méridionale qu’habitait Violante, et le jeune homme ne l’osait. Les gens de Croix-de-Vie passèrent près de lui, quelques-uns le saluèrent. Chemin faisant, ils marmottaient des ave. — Priez ! priez ! bonnes gens, se disait Lesneven avec un cruel sourire. Les serviteurs du château traversèrent aussi la cour pour se rendre à la chapelle. Pieux vassaux, serviteurs fidèles, les uns et les autres espéraient dans leurs prières. Et peut-être aussi la marquise Violante se flattait-elle encore que les supplications sorties de ces âmes simples fléchiraient Dieu ou le destin ; les illusions de l’amour sont robustes ! Lesneven sentit qu’on lui frappait sur l’épaule. — Bonjour, mon hôte, lui dit le maître des Aubrays.

Le gentilhomme était venu à cheval. Ayant mis pied à terre, il tenait sa monture par la bride. Lesneven remarqua qu’il était vêtu de noir de la tête aux pieds. L’air presque insultant de joie et de triomphe qui se lisait sur son visage contrastait singulièrement avec ce sévère ajustement de deuil. Il n’attendit pas la réponse de Lesneven à son salut gaillard, il paraissait même se soucier médiocrement du peu d’accueil que lui faisait le jeune homme. Avisant un dernier groupe de paysans qui sortaient du village, il s’avança vers ces braves gens, tirant toujours sa monture derrière lui. — Mes amis, leur dit-il, je me joins à vous ; je vais prier, moi aussi, pour l’âme de mon frère Siochan, qui est mort.

Les gens de Croix-de-Vie s’entre-regardèrent ; aucun ne répondit. Ils reprirent leurs chapelets et passèrent. Le maître des Aubrays se mit fort paisiblement en devoir d’attacher son cheval à l’un des chênes de l’avenue. Il sifllait suivant sa coutume ; mais tout à coup, se souvenant que Lesneven était là qui l’entendait, il s’interrompit. — Hélas ! dit-il, monsieur de Lesneven, ce pauvre Siochan a rendu cette nuit son âme à Dieu, qui la lui demandait depuis longtemps.

Il s’arrêta court. — Ah ! reprit-il, c’est ici un mauvais présage.