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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

même, peut-être bien alors lèverait-elle les épaules avec un fugitif sentiment de pitié. Jamais elle ne saurait que ce Lesneven était mort par elle. — H a disparu, se dirait-elle en souriant… Non, non ! Mourir était bien ; mais mourir sans que Violante le sût, jamais ! Le jeune homme se releva, il traversa les houx qui se dressaient devant lui ; les charmilles de Bochardière lui apparurent sous la chênaie moins épaisse. Il s’arrêta encore un instant, comprimant avec ses deux mains les battemens de son cœur. Derrière ces charmilles, où naguère il avait pour la première fois surpris Violante, il vit son image. L’illusion qui se levait là devant ses yeux était trop belle et la tentation trop forte. Il s’élança en avant, et ce qu’il n’avait osé faire à Croix-de-Vie, il le fit à Bochardière ; il franchit d’un bond cette haie.

Il baisa le banc où Violante s’était assise le jour de leur entrevue, il baisa l’herbe que ses pieds avaient foulée. — Qui lui aurait dit que de sa raison creuse et de ses sens glacés d’autrefois naîtrait jamais un tel délire ? Il se mit à sonder du regard les différentes allées qui aboutissaient à cette place verte où le banc était situé. Laquelle Violante, en ce jour déjà si lointain, avait-elle suivie pour arriver aux charmilles ? Il en choisit une qui longeait le bois, parce^ qu’elle était tortueuse et couverte, pensant que la jeune femme, — qui était une jeune fille alors, — avait voulu s’approcher de ce lieu sans être vue. Épuisé par son émotion, Lesneven n’avançait qu’en se traînant. Ses yeux cherchaient follement sur le sable la trace des pas de Violante. Il se disait bien que quatre mois s’étaient écoulés depuis que la jeune marquise avait passé dans ce sentier, que vingt orages avaient bouleversé la terre, et que la pluie ne se lassait point de tomber de ce ciel en pleurs ; mais il ne voulait pas prêter au temps ni à la pluie le pouvoir d’effacer ces empreintes divines. Hélas ! ces jardins avaient perdu jusqu’au souvenir de celle qui les animait autrefois de l’enchantement de sa présence. Depuis qu’elle avait quitté ce manoir pour aller s’enfermer là-bas, au fond de ce Croix-de-Vie détesté, avec son amour funeste et son dévouement stérile, ils ne l’avaient pas vue. Ce n’était plus que des jardins vulgaires. Et cependant Lesneven ne pouvait se résoudre à quitter ces ombrages qui avaient abrité si longtemps l’idole et la fée. Il avançait encore ; le cours sinueux de cette allée le trompa, et tout à coup, sortant d’un bosquet, il se trouva sans l’avoir voulu au bord de la terrasse qui dominait la cour et la maison.

C’est là que les chouans du marquis de Croix-de-Vie étaient apparus soudain le jour de l’assaut. Lieu cruel, plein d’ironie et de souvenirs ! Le jeune homme chercha la place où il demeurait alors