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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

de fer qui la portait, terminée par une pointe aiguë, brilla devant les yeux du dernier des Croix-de-Vie, qui n’avait point d’épée comme le premier des Martel, point de poison comme le troisième et qu’on tenait prisonnier. Le marquis jeta du côté de Violante un regard craintif. Le front dans ses mains, se fortifiant tout bas dans la grande résolution qu’elle venait de prendre, la jeune femme ne le voyait pas. Alors il respira longuement et se redressa de toute sa taille, ses y-eux retrouvèrent une clarté vivante. Il mesura froidement la hauteur de la patère, s’assura que la pointe de fer lui viendrait au cœur et se mit à écarter soigneusement le rideau, puis recula d’un pas pour doubler l’élan qu’il voulait prendre… Violante releva les yeux, jeta un grand cri, et, se précipitant vers son mari, l’enveloppa de ses bras…

— N’appelez point, dit-il ; vous m’avez retenu à temps, cette pointe de fer était moins bien affilée que je ne le pensais, la blessure n’est pas profonde.

— Le sang coule, murmura Violante.

— Laissez couler le sang, s’écria Martel. Ne voyez-vous pas que mon mal s’échappe avec ce flot rouge ? C’est le sang de mes pères ; c’est lui qui faisait bouillonner la folie dans mes veines.

— Martel ! Martel…

— Mon langage vous trouble encore. Ne craignez rien, ma raison m’est revenue, j’en suis le maître Combien de temps en ai-je donc été privé ? Combien de temps avez— vous pleuré sur moi, Violante ?


— Je ne sais, dit Violante, quelques jours à peine… Laissez-moi du moins panser cette blessure qui me fait mal à voir et étancher ce sang.

— Ce n’est qu’une égratignure. Voyez ! le sang va s’arrêter tout à l’heure. Je veux retourner à cette croisée ; les arbres du jardin me diront ce que vous refusez de me dire. Il y a plus d’un mois que je suis fou, s’ils ont perdu toutes leurs feuilles ; et s’ils en ont de nouvelles !… Mais non, non ! il n’y a pas un an…

— Vous n’irez point à cette fenêtre, dit Violante. Vous êtes assis près de moi ; n’êtes-vous pas bien ?

— Je suis toujours resté dans cette chambre, n’est-ce pas ? demanda-t-il. C’est ici que vous me gardiez ?

— Je ne vous gardais point. Quelle pensée avez-vous là ? Je demeurais près de vous. Ne suis-je pas votre femme ?

— Oui, ma femme ! s’écria Martel ; la plus vaillante, la plus noble, la plus adorée de toutes les femmes. Ah ! que cela est beau de vous regarder avec des yeux qui vous voient ! Comme vous voilà pâlie ! c’est ma faute. Vos mains de fée sont amaigries. Est-ce que je songeais à les baiser quand j’étais fou ? Que vous disais-je alors ?