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les mêmes. Soyez sûre, ma chère Lamballe, qu’il y a dans ce cœur-là plus d’amour personnel que d’affection pour son frère et certainement pour moi. Sa douleur a été toute sa vie de ne pas être né le maître, et cette fureur de se mettre à la place de tout n’a fait que croître depuis nos malheurs, qui lui donnent l’occasion de se mettre en avant[1]. » Tout cela est également vrai suivant la diversité des circonstances, des temps et des personnes, et de toutes ces lettres le critique eût dû dire ce qu’il a dit d’une seule, à savoir : qu’elles respirent la vérité morale.

C’est en vain qu’aujourd’hui, pour décréditer la correspondance d’origine française, on voudrait lui faire un crime du ton léger de quelques-unes des lettres qui la composent, la seconde édition, maintenant parue, du premier recueil Arneth s’est chargée de répondre pour nous à une pareille prétention. En effet, qu’on lise une certaine lettre, deux même, aux pages 144 et 152 de cette nouvelle édition, et qu’on dise si elles ne donnent pas raison aux prétendus apocryphes français. Elles sont adressées au comte de Rosenberg-Orsini, le même qui avait accompagné en France le jeune archiduc Maximilien et lui avait servi de mentor en février 1775. Ancien ministre de l’empereur à Copenhague, puis ambassadeur à Madrid jusqu’à l’année du mariage de Marie-Antoinette, il avait été ensuite grand-maître de la cour à Florence et finalement favori de Joseph II.

Voici la première de ces lettres, qui est du 17 avril 1775. La reine avait alors vingt ans :

« Le plaisir que j’ai eu à causer avec vous, monsieur, doit bien vous répondre de celui que m’a fait votre lettre. Je ne serai jamais inquiète de contes qui iront à Vienne, tant qu’on vous en parlera; vous connoissez Paris et Versailles; vous avez vu et jugé. Si j’avois besoin d’apologie, je me confierois bien à vous. De bonne foi, j’en avouerois plus que vous n’en dites. Par exemple, mes goûts ne sont pas les mêmes que ceux du roi, qui n’a que ceux de la chasse et des ouvrages mécaniques. Vous conviendrez que j’aurois assez mauvaise grâce auprès d’une forge; je n’y serois pas Vulcain, et le rôle de Vénus pourroit lui déplaire beaucoup plus que mes goûts, qu’il ne désapprouve pas……………

« Notre vie actuelle ne ressemble en rien à celle du carnaval. Admirez mon malheur, car les dévotions de la semaine sainte m’ont beaucoup plus enrhumée que tous les bals... »

Cette lettre qui, par son tour français et par le ton, dépasse comme style les lettres de Marie-Antoinette qu’on incrimine avec

  1. 19 juillet 1791.