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beaucoup écrire, car elle se couchait fort tard. Elle écrivait mal, mais n’en écrivait pas moins à tout le monde. Le recueil d’Arneth en fait foi, tout incomplet qu’il puisse être.

Pour mon compte, je suis d’avis que beaucoup des lettres dont Marie-Antoinette sema l’Autriche et la France dans ses premières années, lettres variées de ton comme la classe et le rang de leurs destinataires, ne lui appartiennent guère que par la pensée, par l’inspiration et aussi par ces éclairs de raison ou ces saillies de jeune sève dont elle animait le travail de ses secrétaires intimes. Il y a telle de ses épîtres où l’on pourrait suivre le crayon ou la plume de Vermond. Je sais bien qu’on ne manquera pas, sur ce point, de m’opposer la note écrite en novembre 1770 par ce même abbé au comte de Mercy, note dont on semblerait devoir conclure à la négation de toute participation quelconque de Vermond à la correspondance de son élève.

« Je ne suis presque jamais, dit-il, chez Mme la dauphine lorsqu’elle écrit. Elle me fait quelquefois appeler lorsqu’elle finit ses lettres, mais elle observe de me garder fort peu de temps l’écritoire ouverte. Elle me dit quelquefois : On ne manqueroit pas de publier que vous me dictez mes lettres. Cette crainte n’est pas sans fondement ; je ne pourrois pas hasarder d’écrire en présence et sous la dictée de Mme la dauphine, ni même de lui dire ce que j’aurois écrit chez moi. — M. le Dauphin me trouve quelquefois dans le cabinet de Mme la dauphine ; il entre toujours sans être annoncé. — D’autres fois une femme de chambre, un garçon de chambre, entrent pour une commission de mesdames. — Votre excellence connoît notre cour : quels contes ne feroit-on pas si on m’avoit trouvé lisant des papiers[1] ! »

Voilà qui semble catégorique ; mais qu’à ces paroles adroitement combinées du précepteur qui voulait conserver avec sa position la dignité de son élève devant l’ambassadeur, — cet œil inquiet et jaloux de l’impératrice-reine, — qu’à ces paroles, qui de temps à autre ont pu être vraies, on oppose le témoignage de Mme Campan :

« L’abbé de Vermond, dit-elle, revoyait toutes les lettres qu’elle envoyait à Vienne. La fatuité insoutenable avec laquelle il s’en van toit dévoiloit le caractère d’un homme plus flatté d’être initié dans les secrets intimes que jaloux d’avoir rempli dignement les importantes fonctions d’instituteur[2]. »

« Marie-Antoinette, dit à son tour le comte de La Marck, avoit pris une telle habitude de se servir de l’abbé de Vermond et avoit

  1. Arneth, p. 368. Lectures de Madame la dauphine.
  2. Mémoires, t. Ier, p. 42, 43.