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en lui une telle confiance, que c’étoit lui qui faisoit la plupart de ses lettres, qu’elle se bornoit à recopier[1]. »

Qu’on choisisse entre ces témoignages. Notons d’abord que le premier remonte à novembre 1770, c’est-à-dire aux premiers six mois du séjour de la dauphine en France, et que les deux autres sont plus généraux. M. Geffroy dit, pour infirmer celui de Mme Campan, qu’elle était jalouse de Vermond et peut en avoir médit. Elle le peut sans doute, car tout est possible en ce genre à la nature humaine ; mais des conjectures que chacun peut imaginer à sa guise ne sont pas des faits. Le critique ajoute que du reste l’abbé manquait de crédit personnel auprès de Marie-Antoinette et déplaisait à Louis XVI. Il est vrai que Louis XVI, peu communicatif, avait été très longtemps sans lui parler quand il le rencontrait chez la dauphine, parce qu’il le pensait fort engagé dans les doctrines des encyclopédistes. Il est vrai aussi qu’il y avait eu quelque nuage en 1773 entre la dauphine et l’abbé, qu’on avait desservi auprès d’elle et qui ne se trouvait plus assez bien traité ; mais tout se rajusta à merveille par l’entremise de Mercy. D’ailleurs, si Vermond n’eût joui d’aucun crédit auprès de son élève, — de quoi donc M. et Mme Campan eussent-ils été jaloux ? Non, il n’est point exact de dire que l’abbé, si justement goûté par la reine pour son dévouement éprouvé, fût sans influence sur l’esprit de son élève. C’est un paradoxe insoutenable. L’abbé était l’unique confident de Marie-Antoinette ; et bien qu’elle n’eût pas de son génie une idée très élevée, la force de l’habitude et de la confiance l’emportaient. Quoi ! n’avait-il donc aucun crédit, cet homme qui savait.si habilement rester dans la coulisse et que Marie-Thérèse avait « recommandé très particulièrement au comte de Mercy, en lui indiquant qu’il devait d’autant plus le soigner qu’il avait gagné la confiance de Mme la dauphine[2] ? » Une anecdote racontée par Mme Campan atteste en effet le parti que l’ambassadeur en savait tirer auprès de la reine[3]. N’avait-il donc aucun crédit, celui qui traitait d’égal à égal avec les plus puissans et recevait dans son bain des ministres et des évêques, qui a su fatalement porter la reine à de graves démarches dont elle ne pressentait pas les conséquences, qui enfin, à force de patience et d’insinuations, vint à bout de persuader à la reine de faire monter au ministère l’archevêque de Toulouse ? Tous ces faits sont incontestables, et les libelles jacobins du temps prouvent de reste, par leurs violences contre l’abbé, qu’on ne s’y trompait pas.

  1. Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Mark, t. Ier, p, 40.
  2. Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Mark, t. Ier, p. 40.
  3. Mémoires de Mme de Campan, t. Ier, p. 44.