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surée que je n’ai pas besoin d’être conduite par personne pour tout ce qui est de l’honnêteté. » Enfin elle déclare qu’elle a parlé à la favorite à Marly. « Je ne dis pas que je ne lui parlerai jamais, écrit-elle en terminant, mais je ne puis convenir de lui parler à jour et heure marqués pour qu’elle le dise d’avance et en fasse triomphe[1]. » Et à ce propos, on comprend à merveille que la dauphine cachât les lettres de sa mère quand elles contenaient sur un pareil sujet des admonestations qui eussent blessé les sentimens de haute pudeur du futur Louis XVI. La lettre de Marie-Antoinette était du 13 septembre 1771; le 30 du même mois, nouvelle lettre de Marie-Thérèse. La grande politique dont l’austérité dévotieuse avait eu, disait-on, avec l’élégance suprême et la toute-puissance de la marquise de Pompadour de si curieux accommodemens, se récrie encore contre les protestations de sa fille : « Vous êtes la première sujette du roi, lui dit-elle, vous lui devez obéissance et soumission, vous devez l’exemple à la cour... Si on exigeait des bassesses, des familiarités, ni moi ni personne ne pourrait vous les conseiller; mais une parole indifférente, de certains regards, non pour la dame, mais pour votre grand-père, votre maître, votre bienfaiteur!... » Et la dauphine, tout excédée qu’elle soit de tant d’insistance sur un sujet qui la blesse et blesse le dauphin, tâche de s’aguerrir contre elle-même. Aux réceptions du mois de janvier 1772, elle prend sur elle et accueille « la Barry » de façon à contenter sa mère, « Vous pourrez bien croire, lui écrit-elle[2], que je sacrifie toujours tous mes préjugés et répugnances tant qu’on ne me proposera rien d’affiché et contre l’honneur. » Paroles bien solennelles qui donnent lia. mesure des révoltes de cette âme candide, neuve aux luttes de la vie! Au mois d’août précédent, l’impératrice l’avait félicitée d’avoir « commencé à traiter poliment le parti dominant, et même adressé quelques propos vagues, ce qui a fait un effet merveilleux[3]. » Ce parti est celui du duc d’Aiguillon, qui fait cause commune avec la favorite et dont les intrigues obsèdent la jeune dauphine; mais celle-ci, qui s’observe, évite tout scandale, s’arme de tact, de réserve et de mesure. « Quand je vous écris, dit-elle, ma chère maman, sur la Barry, c’est à cœur ouvert, et vous pouvez croire que je suis trop prudente pour en parler sur le même ton avec les gens d’ici[4]. »

Un jour, le 7 décembre 1771, elle écrit à sa mère : « Je me suis tenue devant la Faiblesse (sobriquet de cour de la favorite, on

  1. Arneth, 45 à 47.
  2. Arneth, p. 57, 21 janvier 1778.
  3. Arneth, p. 40.
  4. 18 décembre 1771, Arneth, p. 56.