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prise. La Prusse et l’Italie, par l’énergie de leur résistance, ont brusquement dissipé notre joyeuse illusion. Ces deux états ont invoqué les obligations de leur alliance. Ils ont accepté la médiation française pour la négociation de la paix; mais ils ont soumis la conclusion de l’armistice à l’acceptation par l’Autriche de la condition absolue qu’ils placent parmi les préliminaires de la paix. La Prusse ne veut entendre à aucune suspension d’armes avant que l’Autriche n’ait consenti à son exclusion de la confédération germanique. Au lieu de l’armistice, voilà l’ultimatum que nous avons dû porter à l’Autriche. Nous renonçons en fait à la cession de la Vénétie, puisque nous n’avons pu obtenir l’armistice. Nous laissons à la cour de Vienne le choix entre la paix achetée par la déchéance et la guerre continuée par une résolution de suprême désespoir.

En voyant ces oscillations violentes de la politique et de la guerre, nous nous attachons, quant à nous, avec une anxiété chaque jour plus intense à une pensée exclusive et unique. — Au milieu de ces perturbations, où est l’intérêt de notre patrie, quelle est la conduite que la sollicitude la plus vigilante conseille à la France? — Un trop grand nombre d’écrivains politiques parmi nous négligent, dans la discussion des questions extérieures actuelles, le point de vue dominant des intérêts français. On dirait qu’ils assistent aux événemens comme des spectateurs sans patrie, qui ne sentent point que le drame qui se joue doit retentir sur leur pays, et peut l’appeler violemment parmi les acteurs, — comme des amateurs désintéressés à qui il serait permis de s’abandonner sans précaution aux penchans de leurs sentimens et de leurs fantaisies, La question n’est point cependant pour des Français de battre simplement des mains aux succès de l’Italie, de contempler avec curiosité les entreprises énergiques de la Prusse, ou de s’apitoyer sur les désastres de l’Autriche. Un fait nouveau, un fait énorme s’accomplit sous nos yeux avec une rapidité qui frappe d’une égale stupéfaction ceux qui l’appelaient de leurs vœux et ceux qui le repoussaient de leurs craintes. Une concentration politique et militaire de l’Allemagne est en train de s’opérer. Nous voyons se former une Allemagne que les siècles passés n’ont point connue. Nous sommes au moment le plus décisif et le plus périlleux de cette formation, à l’heure qui doit déterminer le caractère définitif que prendra la nouvelle organisation germanique. Quel changement cette transformation peut-elle produire dans la situation de la France vis-à-vis de l’Allemagne? Quelles précautions, quelle conduite cette révolution conseille-t-elle à la politique de notre pays? — Voilà le point unique sur lequel devraient se concentrer toutes les pensées et toutes les affections françaises. En face d’une telle situation, il y aurait pour nous quelque chose d’inepte, de bas et de servile à s’oublier dans les sensations du spectacle et à disputer entre nous de partialité sentimentale pour l’Italien, le Prussien ou l’Autrichien; il faut se ramasser un instant dans un égoïsme patriotique, il s’agit d’être Français et de n’être que Français.