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connu et partagé ta passion, je n’ai plus senti près de lui que la peur et la honte. Je ne sais pas s’il a senti aussi que je n’étais plus la même. Il réfléchit, lui, et il raisonne ; il raisonne tout, non par froideur comme tu le crois, mais par bonté. Il cherche toujours à expliquer en bien et à l’avantage des autres ce qui peut le surprendre ou le chagriner. Il se sera dit peut-être que si je me refroidissais il y avait de sa faute, et il a redoublé de tendresse et de dévouement. Et moi j’ai dû jouer une comédie affreuse pour lui cacher que mon âme était morte sous tes baisers ! Ah ! malheureuse que je suis ! quels reproches j’ai à me faire !… Eh bien ! je t’aime si follement que si j’étais vraiment aimée de toi comme j’ai cru l’être, je ne me repentirais de rien. Rappelle-toi les premiers temps de notre bonheur, ce n’est pas si loin, un an ! Qu’il a été beau, l’été dernier ! Il y avait du soleil dans nos âmes et du feu dans nos veines. Dans ce temps-là, je n’avais pas plus de conscience qu’une fleur, pas plus de scrupules qu’un oiseau. J’étais ivre… Il y avait tant d’années que le feu couvait sous la cendre et que j’avais soif des voluptés que tu m’as données ! Je les ignorais… Voilà pourquoi, tout en frémissant de crainte et de vague désir auprès de toi, la peur d’une déception m’a jetée dans le sein d’un ami plus sûr et plus doux. Hélas ! il ne m’a pas trompée, lui, et la déception que je craignais de toi, la voilà venue ! Ne dis pas non. Tu as des passions trop violentes pour qu’elles soient durables, et je sens que tu ne m’aimes déjà plus…

« Mais voilà qu’au lieu de te calmer, au lieu de te ramener, je te fâche encore !… Tu t’emportes quand je te le dis sans cesse, c’est comme une fatalité ! Au lieu de me gronder et de me menacer, rassure-moi donc ! Ne sais-tu répondre que par des caresses et du délire ? Ces réponses-là, tu sais bien que, venant de toi, elles sont irrésistibles ; mais nous vivons séparés, nous nous voyons rarement, et plus rarement encore nous pouvons être seuls et bien cachés. Quand il y a des témoins autour de nous, d’où vient que nous nous querellons, que tu semblés me haïr, que je suis prête à te haïr aussi ? C’est monstrueux, le mal que nous nous faisons quand nous voulons revenir à l’amitié, aux relations de famille et d’intérêt commun ! Comment peux-tu croire que je ne pense pas à ton avenir avec plus de prévoyance et de raison que toi-même ? Je vois bien que je n’aurai pas d’enfans, je suis maudite ! Sylvestre en a eu, le malheur vient de moi ! Tu m’avais promis… Non, je suis maudite ! Il faudra bien que tes enfans soient les miens, quoique je ne les aime pas ; mais ce que tu voudras, je le voudrai. Sylvestre ne veut rien, lui. Je l’ai sondé encore hier soir à ce sujet, il ne veut rien. Tu n’as guère à craindre que nous ayons de la famille,