Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/565

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
561
LE DERNIER AMOUR.

puisque d’ailleurs tu m’ordonnes de n’être plus que sa sœur. Cela sera si tu m’aimes, je trouverai des défaites, je me dirai malade. Il est si crédule et si dévoué ! Pauvre Sylvestre ! Enfin aime-moi, tout est là. Redeviens ardent et noyé d’amour comme tu l’étais d’abord. Sinon, je me tuerai, vois-tu, car je suis très coupable, je le sais. Je ne le sens pas encore beaucoup. Tant que j’aurai de l’espérance, je ferai taire le repentir ; mais si tu me brises, si tu m’abandonnes, je me haïrai moi-même et je ne supporterai pas la vie.

« Je te dis tout cela, il le faut ; il faut que tu réfléchisses à l’horreur de ma situation, et que tu prennes garde à toi aussi. Il ne faut pas trop te jouer de ma jalousie et porter aux nues l’imbécile paysanne que tu as épousée par dépit. Je ne réponds pas de ne la point mettre sous mes pieds, si tu la pousses à me braver. — Ah ! tiens, je deviens folle, je deviens méchante. Moi qui étais généreuse, je ne le suis plus ; tu as tué ma bonté. Je peux encore combler ta femme de prévenances et de présens, mais me défendre de la détester, c’est impossible, quand je pense à ce second enfant, venu si tôt après le premier, et dans un moment où tu me jurais que ta femme n’était pour toi qu’une servante, que tu ne l’aimais pas ! — Je suis à plaindre, les heures s’écoulent. Sylvestre s’obstine à rester à son bureau. Je vais employer le moyen que tu m’as donné pour t’écrire, il me paraît sûr. Adieu, viens bientôt, ou donne-moi un autre rendez-vous, — ou crains que je n’aille chez toi, — que je ne dise la vérité à ta femme ou à mon mari. Je suis capable de tout, si tu me laisses encore compter les jours et les semaines dans l’état de désespoir et de fièvre où je suis ! »

Pourquoi aurais-je intercepté cette lettre odieuse et déplorable ? Elle était une épine de plus dans la couronne de blessures que s’était tressée Tonino en croyant se parer des lauriers de la victoire et des myrtes de l’amour. Ces deux malheureux avaient à se châtier l’un par l’autre ; l’expiation était dans son plein. Je ne pouvais que l’abréger par mon intervention. Séparés brusquement, ces deux êtres se regretteraient encore ; il valait mieux les laisser devenir le supplice vivant, incessant, inévitable l’un de l’autre. Je fus implacable, moi, dans ce moment-là ! — Qu’ils se déchirent et se maudissent ! m’écriai-je ; qu’ils ruinent l’existence l’un de l’autre ! qu’ils se haïssent et se brisent ! C’est ici que cesse pour moi le devoir de la protection.

Je repliai la lettre, que j’avais lue presque sans la toucher, tant elle me répugnait. Je recollai rapidement et adroitement la boîte. Je courus retrouver le petit Pierre ; je la lui remis. — Je voulais aller au Vervalt, lui-dis-je ; mais il m’a fallu passer chez un voisin, qui me prie de lui rendre un service, et j’y retourne. Va donc où