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clamée par un parti puissant dans beaucoup d’états du continent, en France, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, en Italie. C’est grâce à elle que l’Amérique du Nord a réussi à organiser cet admirable système d’enseignement populaire qui fait son orgueil et sa force. C’est pour l’avoir repoussée que l’Angleterre, malgré tant de sacrifices et de dévouemens, ne parvient pas à donner à ses populations laborieuses l’instruction dont elles ont besoin. L’éloquent historien des États-Unis qui récemment, en prononçant au capitole de Washington l’éloge funèbre de Lincoln, a fait frémir de satisfaction la fibre patriotique de ses concitoyens et désagréablement frappé l’oreille attentive de la diplomatie européenne, M. Bancroft, a dit dans un de ses écrits que l’école laïque est l’une des plus importantes conquêtes de notre époque. Cette opinion est aussi celle de tout le parti réformiste en Angleterre, depuis Cobden et Stuart Mill jusqu’au comte Russell. Nous étudierons d’abord la question en elle-même en examinant les argumens qu’ont fait valoir les partisans et les adversaires de l’école laïque; nous montrerons ensuite comment le problème a été résolu dans le pays qui l’a abordé le premier et qui a adopté la solution la plus radicale, en Hollande.


I.

Ceux qui veulent que l’enseignement des religions révélées fasse partie de l’instruction primaire, qu’ils soient catholiques ou protestans, font valoir à peu près les mêmes motifs. Leurs raisonnemens peuvent se résumer dans les termes suivans. Empruntant un mot de M. Guizot, il faut, disent-ils, que « l’atmosphère de l’école soit religieuse. » La religion seule peut inspirer au peuple des sentimens de respect, d’ordre, de vertu. Détruisez ou affaiblissez seulement les croyances religieuses, et les classes les plus nombreuses, n’ayant plus d’autre mobile que leurs passions, ramèneront la société à la barbarie. La foi du pauvre est la sauvegarde des jouissances du riche. S’il n’attend pas de compensation dans un autre monde, celui qui n’a rien voudra posséder et jouir dans celui-ci; voilà la source des plus dangereuses révolutions sociales. Or, pour imprimer dans le cœur du peuple la morale et la religion, il faut les enseigner dans l’école. C’est en vain qu’on parle de séparer la morale de la religion; sans la religion, la morale n’a point de base, elle n’est rien, et par religion il faut entendre un culte positif, dogmatique. La religion naturelle, ce déisme vague, froid, abstrait, sans tradition, sans symboles, sans cérémonies extérieures, sans prêtre et sans autel, peut offrir un aliment aux spéculations des philosophes dans leur cabinet; jamais il ne servira de nourriture spirituelle aux âmes simples de ceux qui gagnent leur vie dans l’atelier et dans les champs.