Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dant de l’infanterie suédoise, était mort de ses blessures. Piccolomini s’était couvert de gloire à la tête de ses cuirassiers : sept fois il avait eu son cheval tué sous lui et il avait reçu six coups de mousquet. Le duc Bernard avait fait des merveilles de courage et d’habileté; quoique blessé grièvement, il n’avait voulu se retirer qu’après avoir vu les impériaux lâcher pied. Le plus fameux régiment de l’armée suédoise, le régiment jaune, n’était plus : il fut trouvé le lendemain étendu tout entier sur le champ de bataille, dans l’ordre même et sur la place où il avait combattu; mais l’armée, consternée, ne ressentait qu’une seule perte, celle de son roi. On avait recueilli son corps défiguré et méconnaissable. On le transporta à Weissenfelds, où on lui rendit les honneurs suprêmes. La reine sa femme y accourut d’Erfurt pour voir encore une fois son héroïque époux. Le duc Bernard, reconnu officiellement pour le chef de l’armée, ordonna que pendant quinze jours ce corps glorieux fût porté en triomphe au milieu des troupes, escorté de tout ce qui restait des deux régimens de ses gardes[1]. C’est ainsi que successivement il reprit Leipzig avec les autres villes de la Basse-Saxe tombées au pouvoir de l’ennemi, et vers la fin de novembre l’électorat tout entier était rétabli dans son premier état.

De ces événemens illustres et du grand homme qui en est le héros, quelles traces reste-t-il dans ces vastes plaines alors si agitées, aujourd’hui paisibles et silencieuses? Le temps a fait un pas et le monde a été renouvelé. D’autres guerres ont succédé à la guerre de trente ans; d’autres héros ont remué et bouleversé ces champs, et de nouvelles ruines sont venues recouvrir les ruines anciennes. Autrefois, à la place où l’on supposa que Gustave-Adolphe avait perdu la vie, on avait placé une grande pierre, dite la Pierre suédoise. C’était un haut et large caillou terminé en pointe et mis de champ tout près de Lützen[2]. Aujourd’hui, à vingt pas au-dessous du chemin où se livra la bataille, est le simple monument qui conserve la mémoire du grand roi. J’en approche et l’examine avec un respect religieux. Ce sont quelques pierres à peu près disposées en croix. Celle du milieu est debout avec cette inscription en gros et vieux caractères :

G. A.
1632

Ne serait-ce pas là le gros caillou pointu et mis de champ dont parle la tradition ?

  1. Richelieu.
  2. Arkenholtz, p. 561.