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lui. Portée depuis longtemps devant la justice, la querelle, sans être éteinte, a déjà perdu de sa vivacité. C’est après tout question de chiffres et de bon marché. Le service des portefaix était sûr, mais cher. Non-seulement le règlement multipliait les opérations, il s’opposait encore à toute innovation pouvant diminuer l’emploi des forces humaines : pas de brouettes, de charrettes, de moyens de transport mécaniques, rien de ce qui diminue le nombre des travailleurs; mais aussi que de soins pour prévenir les fatigues du portefaix ! Chiffre d’hommes employés, relais, points où il fallait prendre des bras de renfort, tout était prévu dans le règlement. Ces restrictions vaines s’évanouissent chaque jour devant la concurrence, et ce luxe de tarifs, que le commerce a subi sans se plaindre tant qu’il a pu le faire payer aux acheteurs, disparaîtra devant l’obligation de conserver à Marseille la clientèle que ses rivales italiennes, françaises ou espagnoles lui disputeraient bien vite. Il faudra cependant quelque temps pour que les anciennes habitudes se perdent. Les portefaix constituent une association recommandable par la plus scrupuleuse probité. Les négocians se reposent entièrement sur eux du soin des marchandises. Un navire était-il en vue, le portefaix de la maison se bornait à prévenir l’armateur de l’arrivage, tout le reste était son œuvre : vérification du chargement, emmagasinement, conservation et écoulement de la marchandise, le négociant n’avait rien à surveiller. Cette confiance, qui n’entraînait aucun danger, s’est perpétuée d’autant plus absolue que, dans les usages marseillais, tout se fait par des tiers, par intermédiaires, par courtage. Chacun est à tour de rôle courtier de quelqu’un et de quelque chose : on ne vend, on n’achète, on ne loue rien, on prétend même qu’on ne se marie pas, sans l’office d’un courtier. Un nouveau-venu veut-il se loger, il visite un appartement, le trouve à son gré, s’entend avec le propriétaire, et croit que tout est fini : erreur. Le propriétaire, pour arrêter les conditions, envoie son courtier, lequel reçoit honoraires des deux mains. C’est une charge indispensable, et qu’il faut s’imposer dans la crainte de l’avenir.

Le dock a donc eu à lutter et lutte encore contre les habitudes marseillaises. Il s’est vu aux prises non-seulement avec des intérêts de toute sorte, intérêts des portefaix, des intermédiaires, des propriétaires de magasins particuliers, ou, comme on dit, des domaines, mais aussi à des reproches plus graves formulés au nom des principes économiques. On l’accuse de constituer un monopole et un privilège. Ce dernier mot est impropre : le dock fait un service public. Toute ville pourvue d’un entrepôt de douane où les marchandises destinées au transit sont considérées par une fiction légale