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leur reprochait de vivre dans les délices, et qu’adoptant les mœurs des Sarrasins ils portaient des vêtemens amples et souples et se décoraient comme des châsses. Je m’en confesse, j’ai plaidé plus d’une fois contre lui la cause de ces mauvais chrétiens ; mais ce qui me ravit, ce fut de découvrir, dans un autre historien des croisades, des renseignemens très exacts sur l’emplacement du paradis de volupté. Deux chevaliers de sa connaissance étaient parvenus jusqu’à la porte ; au moment d’entrer, ils aperçurent deux lions et deux léopards qui, accroupis sur la muraille, avançaient la tête pour les regarder ; la face rébarbative de ces concierges du paradis leur donna à penser, et ils n’osèrent jamais les prier de tirer le cordon.

— Nous savons en effet, lui dis-je, par les historiens qu’aux croisades les Gascons étaient en nombre.

— Mais sur toutes choses, reprit-il, une histoire m’enchantait, et je ne la pouvais lire sans me repaître de songes. Avez-vous ouï parler de ces cinq vaillans chevaliers, compagnons de Baudouin, dont Orderic Vital a consigné les aventures dans son livre ? Tombés aux mains du perfide Balad, offerts par lui en présent à Ali, roi des Mèdes, celui-ci les prit en gré. Habillés d’or et de soie, ils avaient chevaux, armes, riche provende et le reste ; les Mèdes les trouvaient admirables, les filles des rois s’extasiaient devant leur beauté, souriaient à leurs plaisanteries. Au bout de neuf mois, Ali les donna au calife de Bagdad, lequel les donna au Soudan d’Égypte qui les combla de présens, leur offrit les filles de ses seigneurs, s’ils consentaient à demeurer auprès de lui. Sur leur refus, il les rendit à la liberté, et, de retour à Antioche, ils eurent de longs récits à faire sur Bagdad et Babylone. Guiumar de Bretagne, Gervais de Dol, Robert de Caen, Musched du Mans, Bivallon de Dinan, princes des aventuriers, fleur de la chevalerie, ô mes meilleurs amis, vous dont aujourd’hui encore je ne puis prononcer le nom sans tressaillir, non, je vous le jure, personne ne put jamais balancer dans mon cœur l’affection que je vous portais, hormis ce héros gascon qu’un trouvère, s’inspirant de votre histoire, imagina de vous donner pour rival… Brave jusqu’à la folie, esprit léger, conscience plus légère encore, riche de cette gaieté charmante qui désarme la destinée, le nez en l’air, jetant la plume au vent, amoureux de tous les hasards, infiniment curieux, voulant tout voir, tout posséder et trouvant le monde trop petit, Huon de Bordeaux s’en va demander à l’émir de Babylone ses quatre grosses dents mâchelières. Dans combien de mauvais pas l’engage son imprudence ! Mais Oberon est là, qui a pris en amitié ce Gascon gasconnant, et à peine Huon a-t-il embouché le cor magique, le petit roi bocager accourt et le tire de peine… Hélas ! Oberon est mort et les féeries se sont