Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/673

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ne répondit que par des monosyllabes à toutes ses questions, par une froide réserve à ses empressemens. Un peu déconcerté, il lui annonça d’un ton de maître qu’il allait l’emmener ; alors ses lèvres tremblèrent, elle le regarda fixement d’un œil sombre, presque hagard, et s’en fut s’asseoir dans l’embrasure d’une fenêtre où elle demeura longtemps les bras pendans, immobile et muette.

La directrice du pensionnat parut enchantée qu’on la débarrassât de Georgette. Elle fit un ample et tragique détail des chagrins que lui avait donnés cette sotte enfant, se plaignit que le fond de son caractère était un entêtement de petite mule également insensible aux caresses et aux remontrances, — une sauvagerie taciturne qu’elle ne dépouillait par instans que pour s’amuser à des enfantillages. À seize ans, elle avait le sens court et borné d’une fillette qui n’est pas encore sortie de la coque, n’entendant raison sur rien, bayant aux corneilles et regardant voler les mouches : à grand’peine avait-elle appris sa croix de par Dieu ; quant au reste, son savoir se bornait à certaines cantilènes ou, pour mieux dire, à certains abracadabras de son invention où personne n’entendait goutte et qu’elle chantait en s’accompagnant d’un instrument que M. Adams lui avait envoyé de Géorgie, l’une de ces longues mandolines en ébène et en nacre dont on joue avec une plume. M. Adams ne s’alarma guère de ces nouvelles ; il lui suffisait d’ouvrir les yeux pour s’assurer que la fleur avait tenu toutes les promesses du bouton ; peu lui importait que Georgette ignorât les rois de France et d’Assyrie ; cet article n’était pas inscrit sur son carnet. Il salua gravement les lunettes de la directrice et s’en fut avec son trésor.

On revint par Genève, en chaise de poste et à petites journées. Chemin faisant, M. Adams voulut rompre la glace, ouvrir la voie aux éclaircissemens ; il se trouva plus empêché qu’il ne s’y attendait. Georgette ne l’écoutait pas ; on eût juré qu’il lui parlait hébreu ; impossible de savoir à quoi elle pensait ou si même elle pensait à quelque chose. En vain suait-il sang et eau pour s’expliquer ; l’air d’innocence enfantine dont elle le regardait lui faisait rentrer les paroles dans la bouche. Apparemment son embarras lui venait d’un préjugé resté au fond de son sac ; on ne s’avise jamais de tout ; il avait oublié de laisser celui-là à Samarcande.

Étant à bout de son latin, il se rabattit sur l’espoir que du moins Georgette aimait les chiffons. C’est un bon préliminaire, et les chiffons sont d’habiles maîtres qui s’entendent à commencer les enfans. À Genève, il lui fit courir les magasins. Rubans coquets, bijoux, cachemires, Georgette fut de glace à tout, ne disant ni oui ni non, mais regardant à peine ce qu’on lui montrait. Comme il s’impatien-