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que sinistre expédition, les entendant venir, tous les chiens des environs remplissaient les airs de hurlemens funèbres.

Mais laissons là les éveille-chiens, continuai-je, arrachons, si vous le voulez, de l’histoire du moyen âge toutes les pages sanglantes ; — je ne laisserai pas de m’étonner que vous, catholique orthodoxe, vous, moraliste austère, vous vantiez sans réserve ces temps de confusion qui déconcertent toutes les habitudes de notre esprit. L’homme méprisant la loi et se mettant à sa place, lors même qu’il veut le bien, où cela va-t-il ? Oubliez vos tenanciers et vos saints. Songez aux lollards, aux bégards et à ces chevaliers qui tenaient de leur dame leur vie en fief. Vous catholique, que pensez-vous de ces innombrables mystiques qui, aspirant aux franchises de l’église invisible, méprisaient les autels, les ordres, la prière même, — car, disaient-ils, s’ils avaient demandé quelque chose à Dieu, ils l’eussent avoué pour leur maître et eux pour ses serviteurs, et ce n’est pas ainsi qu’en useront l’homme et Dieu dans la vie éternelle. Honte à l’église visible, s’écriaient-ils, et à ses sacremens, qui sont un attentat à la sainte liberté des enfans de Dieu ! Et vous, moraliste, que pensez-vous de ces franciscains de l’amour profane, de ces pauvres Galois qui aspiraient aux palmes de l’amoureux martyr et couraient tout nus au fort de l’hiver, jeûnant, se macérant à la plus grande gloire de leur maîtresse, et disant : Périsse le mariage qui est un crime contre la liberté du cœur !… Longtemps tenue de court, longtemps soumise à une dure tutelle par les lois de la cité antique, c’est le moyen âge qui affranchit la passion. Désormais elle triomphe, elle est inviolable et sacrée, elle brave le ciel et la terre, les vertus ne sont-que ce qu’elle veut, elle étend ou borne les devoirs à sa fantaisie. Le respect de la femme ! Mais l’antiquité l’avait connu ; j’en atteste Octavie et Porcia. Et l’ivresse du plaisir, tous ses poètes l’ont chantée. Ce qu’elle avait ignoré, c’est le culte de la passion, c’est la jouissance unie à l’adora(ion mystique, c’est la vertu s’engendrant dans le cœur par l’enthousiasme de la beauté. Point de vertu sans exaltation, point d’exaltation sans amour, point d’amour éternel sans l’éternelle illusion, et l’illusion, le mariage la tue. Ainsi raisonnèrent les descendons des Germains.

Mon cher Armand, si je connais moins que vous les chroniqueurs, j’ai quelque peu pratiqué les poètes. Au moyen âge, l’église écrivit ou dicta l’histoire ; mais, fille du siècle, la poésie fut toujours dans la confidence des mondains. N’avez-vous donc jamais lu les romans de la Table-Ronde ? L’adultère en est l’âme. Levez-vous et sortez de la nuit, étranges et délicieux fantômes ! Des reines coupables passent et repassent devant mes yeux, affolées d’amour, fières de leurs fai-