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ajouterons quelques faits biologiques qui, en achevant de caractériser la puissante physionomie du chêne, ne nous éloigneront pas du domaine de la physiologie végétale.


II.

Un des traits saillans de cette physionomie est une majesté austère, dédaigneuse et un peu sauvage. Ce n’est pas, il faut bien le dire, dans le premier chêne venu que l’on peut trouver cet aspect, cette fière prestance, qui constituent ce que l’on pourrait appeler l’individualité de ce végétal magnifique. Les jeunes chênes, comme tous les jeunes arbres, manquent de caractère, et ce n’est guère qu’à partir de l’âge de cent cinquante ou deux cents ans que l’arbre, véritablement adulte, offre ce groupement de lignes et d’attitudes générales dont l’ensemble caractérise, seul entre tous, le roi de nos forêts. Le chêne n’est pas seulement fort et opiniâtre, il est encore, et ce n’est qu’une conséquence naturelle, l’image de la concentration la plus obstinée. Nulle expansion, nulle révélation de lui-même. Certains végétaux se manifestent de loin et vont comme au-devant du visiteur auquel ils envoient leurs arômes. Chez celui-ci c’est l’écorce, chez tel autre le feuillage, chez un plus grand nombre encore ce sont les fleurs ou les fruits qui, par l’odeur, la couleur ou l’éclat, attirent le regard et subjuguent l’attention. Rien ne transpire de l’impassible tronc du chêne. Son feuillage est terne, ses fleurs de couleur effacée sont à peu près inodores, et son fruit de forme exiguë se dissimule sous une enveloppe luisante et cornée, qui s’enfonce à demi dans une cupule coriace, épaisse et rugueuse. Tout se cache, tout demeure enfoui sous cette écorce impénétrable où s’accumulent avec une lenteur séculaire les fibres de ce bois rigide qui durcit en vieillissant, et dont le cœur noir comme l’ébène repousse le ciseau et fait sauter la hache. C’est bien là l’arbre du mystère et du dogme, l’arbre fatidique dont le prestige universel s’imposa aux imaginations depuis les bois sacrés de Dodone jusqu’aux sombres forêts de l’île de Rügen et du pays des Carnutes.

Cet arbre austère appartient toutefois à la catégorie des végétaux sociables, à la condition de ne donner à ce mot qu’un sens assez étroit. Le chêne est sociable en ce sens que, sur un terrain convenable, il s’associe à ses pareils pour former une forêt; mais que de restrictions à cette sociabilité ! Si le chêne se bornait à se présenter à nous comme l’incarnation végétale de cette force et de cette concentration dont il est la saisissante image, le moraliste le plus rigoureux n’aurait qu’à s’incliner devant son inoffensive majesté; mais il est d’une intolérance extrême. Il s’impose à ses voisins avec