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symptômes d’une mort imminente sont-ils aisément reconnaissables. La tête du chêne s’arrondit, se couronne; l’extrémité des branches se dessèche; les feuilles de la cime deviennent rares, jaunissent dès le milieu de l’été et tombent aux premiers jours d’automne; elles font même parfois complètement défaut, et l’on voit alors les branches supérieures s’élever dépouillées et à jamais stériles du milieu des dernières touffes de feuilles dont la base de la couronne est encore revêtue. Le tronc de l’arbre paraît encore sain à l’extérieur, mais déjà le cœur est altéré. Les canaux se sont obstrués de proche en proche, la sève a ralenti son cours, et les couches additionnelles, qui d’année en année étaient devenues plus minces, finissent par s’arrêter complètement. Les derniers sucs extravasés se font jour au travers des tissus engorgés qui suintent et parfois se couvrent d’ulcères de mauvais augure. Les fragmens de l’écorce s’enlèvent par lambeaux et montrent au grand jour les galeries tortueuses, les fouilles vermiculées que les larves ont creusées dans l’aubier; au premier vent d’orage, les dernières feuilles sèches se sont envolées: plus rien ne reste, nul vestige de vie... Il est mort, le grand chêne, le roi de la forêt. Toutefois il demeure debout. Sa cime décharnée domine encore les taillis d’alentour; ses longues branches nues, qu’ont brisées les ouragans, qu’ont blanchies les pluies et le grand air, gardent encore malgré leur apparence désolée l’altière attitude d’une majesté foudroyée, et on dirait, à l’aspect du cadavre géant, qu’il proteste jusque dans la mort contre l’audacieuse destinée qui n’a pas craint de le frapper.

Maintenant qu’il est mort, tous ses parasites vont se disperser ou mourir avec lui, car on sait à quelles légions vivantes son écorce et son bois servent habituellement de station ou d’asile. Indépendamment de la superposition des végétaux distincts, mais inhérens à sa vaste et complexe individualité, il est encore certaines plantes et de nombreux insectes qui vivent sur le vieux chêne, se nourrissant des sucs qui suintent de son écorce, de cette écorce elle-même ou des tissus qu’elle recouvre. La mort va donc frapper et ces lichens dont les larges plaques blanches ou fauves forment sur l’épiderme ce que l’on a si bien appelé la « rouille des siècles, » et ces moisissures délicates dont le microscope révèle les merveilleuses ramifications transparentes, et plus bas, dans l’intérieur de l’arbre, ces scolytes, ces cossus, ces larves de cerfs-volans et de grands capricornes, redoutable armée de xylophages qui, silencieusement, mais sans relâche, rongent jusqu’au cœur le tronc, tout sillonné quelquefois de tortueuses et profondes galeries[1]. D’autres hôtes moins

  1. Parmi les parasites du chêne, l’on comptait autrefois le gui, presque introuvable aujourd’hui sur cet arbre, et que les druides ont rendu célèbre par l’importance qu’ils lui attribuaient dans les cérémonies de leur culte.