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tion d’un pouvoir inspiré de traditions hardies et servi par une administration savante dans une commune action politique et militaire.

Et c’est en moins d’un mois de guerre que s’est opéré un changement qui modifie si profondément la position relative de la France et sa sécurité extérieure, et l’on voudrait que la France, qui était si peu préparée à de semblables vicissitudes, ne fût point frappée, émue d’un tel résultat? Si les voix secrètes du patriotisme n’inspiraient point nos compatriotes, les dispositions témoignées par les peuples voisins devant ces événemens suffiraient pour nous avertir. Dès qu’elle a vu les victoires écrasantes de la Prusse, la presse anglaise, qui pourtant à l’origine avait jugé sévèrement la politique de M. de Bismark, s’est brusquement et unanimement retournée. L’Angleterre salue avec une exaltation joyeuse l’unité allemande; elle ne dissimule point le motif de sa satisfaction : elle déclare naïvement que maintenant la France n’est plus la seule grande puissance militaire du continent. Les Anglais ne perdent jamais grand temps à s’apitoyer sur les vaincus de l’histoire; les souvenirs d’alliance autrichienne sont relégués par eux dans les musées du passé; c’est à la Prusse jeune et vivante qu’ils font fête, à la Prusse qui, à côté et en face de la France, donne à l’Allemagne la force par l’unité. Le vieux lord Russell, qui semble porter dans l’opposition une aigreur chagrine, a battu des mains à la rénovation de l’Allemagne par la Prusse; il a oublié les accusations de mensonge qu’il avait lancées contre M. de Bismark; il excite les Allemands à l’unité; en même temps, dans un discours prononcé à l’inauguration du Cobden club, il envenimait contre nous les préjugés italiens et représentait la cession de la Vénétie à la France comme une insulte pour l’Italie!

Rien n’est plus éloigné de nos sentimens et de nos idées que de professer une jalousie haineuse contre les autres peuples, de regarder avec envie leurs progrès, leurs succès, leurs agrandissemens justes et naturels, de prétendre subordonner arbitrairement leurs aspirations et leurs mouvemens à une vue égoïste des intérêts français. Entre peuples qui se possèdent et se gouvernent eux-mêmes, il ne devrait pas y avoir d’ombrages sur les questions de puissance relative. C’est peut-être une illusion du genre de celles que les récentes années ont dissipées : cependant nous nous y attachons encore, nous ne pouvons croire, à l’époque où nous vivons, au mauvais vouloir mutuel des grandes nations; mais nous n’avons point, dans les gouvernemens qui les mènent trop souvent malgré eux, la confiance que nous plaçons dans les peuples. Suivant que le niveau des institutions libérales monte ou baisse au sein de chaque peuple, varient les degrés de la sécurité internationale. Si l’Allemagne avait les institutions des États-Unis, son union naturelle, volontaire, traversée par tous les courans de la liberté, ne nous donnerait aucune inquiétude, ne provoquerait de notre part aucune protestation, et n’exciterait en nous qu’un élan d’émulation généreuse; mais une Allemagne conduite par un pouvoir d’allures césa-