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semblables à des conspirations, à des prétentions étroites et entêtées de souverains qui peuvent exposer à tout moment aux plus périlleux hasards la fortune et l’existence des peuples, à des actes sauvages et corrupteurs de la morale sociale, tels que ceux que les généraux prussiens ont tentés sur Francfort, et que n’auraient point rêvés les moins scrupuleux des révolutionnaires socialistes. Il est aujourd’hui démontré à tous les esprits de bonne foi que l’amour de la liberté n’est plus seulement une passion idéale, qu’il est désormais en France la condition absolue, l’obligation pratique, la forme positive du patriotisme.

Nos pensées sont aujourd’hui trop repliées sur la France pour que nous ayons de l’inclination à discuter les affaires des autres peuples. Cependant nous ne pouvons être indifférens aux sentimens qui agitent en ce moment la nation italienne. Nous regretterions amèrement que l’Italie, dans la crise où elle est, se laissât écarter par des mouvemens d’humeur puérile des souvenirs et des traditions de l’alliance française. Comme il arrive toujours quand on est mécontent de soi-même, l’Italie, dirait-on, est mécontente de tout le monde. Ceux qui la dirigent ne devraient pas craindre de lui dire que ses plaintes sur le compte de la France sont profondément injustes. L’Italie serait équitable envers nous, si elle avait trouvé en France moins d’enthousiasme et de ridicules flatteries. Il y a toujours chez nous des gens prêts à abdiquer la liberté de leur esprit et à s’abandonner à des fanatismes grotesques. L’amour de l’Italie, le dévouement aux intérêts italiens, la docilité aux passions italiennes, sont devenus des obligations religieuses pour ces bigots de nouvelle espèce. L’italianisme a été une secte. La politique a eu ainsi parmi nous ses ultramontains, aussi aveugles, aussi entêtés, aussi bornés, aussi intolérans que leurs adversaires religieux. Ces sectaires n’ont plus voulu ouvrir les yeux sur les intérêts de la France lorsqu’une fantaisie italienne était en jeu; ils aimeraient mieux donner le Trentin à l’Italie que de voir restituer à la France ses anciennes libertés; ils n’ont nul souci des embarras qu’une grande Allemagne transformée en une grande Prusse peut causer à la France, puisque le royaume d’Italie se complète par l’acquisition de la Vénétie. Ces zelanti de l’italianisme ont réussi par leurs exagérations à faire perdre le sens commun à une grande partie du public politique de l’Italie, lequel se plaint de la France parce qu’il imagine qu’il peut tout exiger d’elle. D’où vient la mauvaise humeur des Italiens? De l’inhabileté qu’ont montrée leurs chefs dans les combats de terre et de mer? Rien de plus naturel; mais nous ne pouvons admettre que les Italiens aient le droit de se tenir pour blessés de l’empressement avec lequel l’empereur avait consenti à se faire auprès d’eux l’intermédiaire de la cession de la Vénétie. Il saute aux yeux que l’empereur n’a laissé engager l’alliance italo-prussienne, que la France n’a été exposée aux dangers des agrandissemens prussiens que parce qu’au bout de ces aventures apparaissait la chance certaine d’achever l’unité italienne par l’émancipation de