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LE DERNIER AMOUR.

avait réussi à me tromper, ma femme ne m’avait pas rendu malheureux, et aucune autre ne devait plus me présenter l’idéal d’une meilleure existence. À quoi pouvais-je désormais me rattacher dans la vie qu’on venait de briser ? À rien autre qu’au devoir, un devoir aride, effrayant et sans aucune compensation tangible.

Ce devoir, quand ma conscience l’eut élucidé, n’était ni de châtier ni d’absoudre. Comme il est impossible d’apprécier la dose de résistance intellectuelle et morale qu’une conscience humaine plus ou moins éclairée peut opposer à la violence brutale de l’instinct, il est impossible au philosophe et au physiologiste de prononcer avec certitude une condamnation quelconque en matière criminelle. Le législateur l’a reconnu en séparant le juge du bourreau d’une manière radicale. Le jury vote sur l’existence ou la non-existence de l’acte qui emporte telle ou telle peine. Le magistrat ne juge rien ; il applique un texte de loi : tout repose sur un calcul de probabilités plus ou moins réussi.

On serait embarrassé pour soi-même de décider pourquoi l’on fut lâche ou brave un tel jour. L’examen de conscience d’une âme vraiment délicate est parfois un travail sérieux et qui nous laisse quelques doutes. Comment donc faire ce travail pour un autre, eussiez-vous toute sa confiance, et fussiez-vous assuré de sa sincérité ?

Je ne pouvais donc pas châtier ce que mon cœur et ma raison condamnaient pourtant sévèrement. Le crime seul tombait sous la coulpe de mon blâme, le droit de punir les coupables m’échappait. Je ne pouvais pas davantage absoudre. Les mêmes raisons s’y opposaient. Je savais avoir affaire à deux êtres très intelligens sous plus d’un rapport, et à qui les bons conseils et les bons exemples n’avaient pas toujours manqué. Il y avait eu une dose de lumière et de liberté dans ces âmes, même dans celle de Tonino. Ils méritaient à coup sûr de sanglans reproches et quelque rude leçon.

Cela suffisait bien à mon ressentiment légitime ; outre que je n’admets pas la peine de mort, je n’ai jamais eu le goût de tuer, de frapper ou de torturer. Je me fais d’ailleurs une telle idée de la dignité humaine que je ne connais pas d’expiation comparable à celle de se voir flétri à bon droit parle dédain d’un homme juste.

D’ailleurs, eussé-je eu, selon moi, le droit de tuer mon rival, je ne l’eusse pas fait. Il était père de famille, et sa femme l’idolâtrait. Elle était pure et vraiment digne et dévouée, cette Vanina. Elle nourrissait une innocente créature à qui l’on avait donné mon nom et que ma bouche avait bénie. Je me représentais l’horreur d’une scène de violence dont cette famille eût pu être témoin et victime. Je me souciais fort peu de ce que l’on pourrait railler en moi, si