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LE DERNIER AMOUR.

douleur portait ses fruits amers, mais toniques pour les âmes droites. La pitié l’emportait sur l’indignation en ce qui concernait Félicie. Quant à son complice, je devenais de plus en plus dédaigneux et glacé. Sa souriante perversité le dégradait tellement à mes yeux que je voyais de moins en moins en lui un de mes semblables. Pour Félicie, ce mot des bonnes gens qui apprécient les mérites évanouis me revenait machinalement aux lèvres : Quel dommage ! Pour Tonino, en me rappelant tout le passé, je me disais : Cela devait être !

Pour celui-ci, aucun chcàtiment profitable n’étant admissible, il n’y avait à lui appliquer que les mépris de la répression. Je me me rendis chez lui et je lui parlai ainsi : — Vos discussions d’intérêt avec ma femme me fatiguent et me blessent. Je ne veux pas que son repos soit plus longtemps troublé par vos projets de fortune. Vous lui contestez un remboursement dont j’exigerai qu’elle vous tienne quitte. Vous lui demandez, pour d’autres entreprises, une somme que je vous accorde de sa part ; mais c’est à une condition : vous partirez dès ce soir pour le pays qu’il vous plaira de choisir à cent lieues au moins d’ici. Vous préparerez un établissement provisoire ou définitif d’ici à six semaines, et dans six semaines j’y conduirai votre femme et vos enfans. À partir du moment où nous voici, vous ne reverrez pas Félicie, ou devant elle je vous infligerai l’outrage que méritent ceux qui manquent à leur parole, car vous allez me donner la vôtre, si vous voulez toucher les vingt mille francs que vous lui demandez, et recevoir la quittance des cinq mille que vous lui devez.

Tonino était pâle comme la mort. Il comprenait, il avait un tremblement convulsif d’épouvante, mêlée h une certaine joie inquiète. 11 voulut parler, je l’interrompis.

— Donnez-vous votre parole ?

— Mais…

— La donnez-vous ?

— Je la donne.

— Parlez à votre femme. Prenez votre bâton et votre sac de voyage. Je veux vous voir partir, vous avez un quart d’heure.

— Ma femme va être bien inquiète, je ne sais comment lui dire…

— Appelez-la ici. Je lui parlerai moi-même. . — Monsieur Sylvestre…

— Ne prononcez pas mon nom. Obéissez.

Il obéit.

— Vanina, dis-je à la jeune femme, je fais partir votre mari pour une affaire qui ne souffre pas une minute de retard. Sa fortune, l’a-