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vite que c’eût été renouveler l’expiation. Félicie avait eu, en me croyant informé de sa faute, des souleurs d’épouvante telles qu’elle fût, je crois, tombée morte, si je ne l’eusse dissuadée. Ce qu’il y avait de plus horrible à envisager pour cet esprit où l’orgueil combattait la luxure, c’était d’encourir mon mépris. C’était là un si grand désastre pour elle, qu’elle n’y eût pas survécu. Je crois qu’elle ne pouvait pas se représenter l’horreur d’une telle situation, puisqu’elle se laissait si facilement persuader que j’étais sa dupe.

Il importait donc de conserver ce rôle sans m’en lasser, quelque irritant et humiliant qu’il pût être. Demander une confession n’eût pas été seulement tyrannique, cela eût été puéril. Pour se confesser avec sincérité, il faut être repentant ; Félicie n’en était qu’à l’humiliation intérieure. Pour l’amener à l’attendrissement, il eût fallu m’attendrir moi-même. Cela, je ne le pouvais pas sans me dégrader. Montrer mon cœur brisé à cette femme brisée par un autre, c’était une lâcheté impossible.

Elle éprouvait pourtant le besoin de me confier une partie de ses peines, et, si je l’eusse permis, elle m’eût désormais parlé de Tonino à toute heure, aimant mieux en dire du mal que de n’en point parler ; mais je jugeai que ce soulagement était pire que îe silence : je le lui interdis en lui répétant d’un ton sévère et froid qu’il ne fallait pas juger Tonino sur un passé qu’elle avait fait elle-même, mais qu’il fallait voir comment il gouvernerait l’avenir en se voyant seul responsable de sa propre existence et de celle de sa famille. Elle prit d’abord de l’humeur et m’accusa de faiblesse. Elle railla mon optimisme. Je la laissai dire sans répliquer, elle se tut, elle n’osa plus y revenir.

Vanina demanda bientôt à me voir. Elle était pressée de partir. Irritée contre Félicie, elle ne s’expliquait pas ; mais, sans l’interroger, je vis bien que tout était à jamais rompu entre elles. Vanina savait maintenant que cette fortune annoncée par moi à son mari n’était autre chose qu’un don imposé par moi à Félicie, don considérable eu égard à sa petite fortune territoriale. Vanina souffrait de voir Tonino accepter ce bienfait, que sans doute Félicie lui avait repro.*, hé en le lui révélant. Elle voulait partir avec ses deux enfans et une servante, rejoindre Tonino avant qu’il ne se fût établi, l’empêcher de profiter de ma générosité, le forcer à être pauvre au besoin, à travailler avec courage sans rien devoir à personne. — Il y a bien assez ici, disait-elle, pour nous acquitter envers votre femme : qu’elle reprenne tout ce qu’elle nous a donné. Moi, je ne veux plus rien lui devoir. Je suis forte et je suis fière. Je ne crains pas ma peine et je ne suis pas inquiète de mon mari. Il a trop d’esprit pour ne pas faire fortune sans le secours des autres.