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que les sciences qu’il nomme fondamentales soient constituées, comme la sociologie est l’une et dans sa hiérarchie la dernière de ces sciences, enfin, comme avant lui la sociologie n’était pas constituée, c’est pour son œuvre une question vitale de décider si effectivement il a opéré cette constitution ou s’il y a échoué.

M. Mill nie qu’il y ait réussi. Ainsi le débat roule d’abord sur la définition qu’on donne de la constitution d’une science, puis sur l’application qu’on fait de cette définition à l’œuvre sociologique de M. Comte. En 1863, dans mon livre sur Auguste Comte et la philosophie positive, je consacrai plusieurs pages à élucider cette idée, défendant, contre un des plus éminens penseurs de l’Angleterre contemporaine, M. Herbert Spencer, la série hiérarchique établie par M. Comte. M. Mill approuve le sens que dans cette discussion j’attribuai au terme de constitution, mais il conteste que ce terme ainsi défini appartienne à ce qu’a fait M. Comte en sociologie; je pense au contraire qu’il y trouve une juste application. Tandis qu’alors je défendais la notion générale de constitution de science, aujourd’hui j’entreprends de défendre la persuasion où fut M. Comte, où je suis comme lui, que réellement il a constitué la sociologie, c’est-à-dire qu’il en a fait suffisamment la philosophie pour s’en servir au même titre que de la biologie, de la chimie et des autres sciences, dans l’édification de la philosophie positive.

En cette discussion circonscrite, un point de départ commun n’est pas difficile à fixer. M. Mill me l’offre, donnant pour exemple de la constitution d’une science la détermination des propriétés élémentaires des tissus organiques dans la science de la vie. Cet exemple m’est familier, je l’ai allégué plus d’une fois; je l’accepte pleinement. Les propriétés élémentaires des tissus une fois déterminées, il apparut que la science de la vie n’était un appendice ni de la mécanique, ni de la physique, ni de la chimie, ce qu’avaient toujours été tentés de croire les savans d’auparavant; que la vie était dans un rapport régulier et constant avec la substance organisée, ce qui écartait les conceptions théologiques; qu’il était inutile et trompeur d’admettre ontologiquement des principes indépendans des organes pour en expliquer l’action, puisque les propriétés étaient immanentes aux tissus, ce qui écartait les conceptions métaphysiques; enfin que cette notion des propriétés élémentaires devait dorénavant présider à toutes les conceptions biologiques. Voyons donc maintenant si M. Comte a fait pour la sociologie ce que Bichat fit alors pour la biologie.

Des lois sociologiques équivalentes aux lois biologiques dont il vient d’être parlé pourraient, on le conçoit a priori, être prises soit dans l’état statique des sociétés, soit dans leur état dynamique, je veux dire soit dans le mode suivant lequel elles subsistent, soit