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dans le mode suivant lequel elles se développent. Néanmoins cette liberté de choix disparaît devant l’examen, et l’état statique est impropre à les fournir, non pas précisément parce qu’il n’a rien de permanent (quelles différences n’offre-t-il pas depuis le rudiment qui appartient aux sociétés des sauvages, et, plus anciennement encore, à celles de l’âge de pierre, de l’âge lacustre ou de l’âge des cavernes?), mais parce que la cause de son impermanence gît non pas en lui, mais dans l’état dynamique qui est la cheville ouvrière du changement.

On n’aurait pas une idée nette de l’état statique et de l’état dynamique, si on ne les rapportait à ce qui, dans la nature humaine, en est la cause efficiente. L’état statique provient originellement de l’instinct d’association : ce qui le prouve, c’est que des sociétés existent chez certains animaux; l’état dynamique provient de l’intelligence humaine associée : ce qui le prouve, c’est que l’état dynamique reste étranger aux bêtes, et que l’intelligence animale ne peut s’y élever. Les élémens sociaux se combinent d’abord (état statique) suivant leurs affinités propres; puis (état dynamique) ils se développent suivant les applications de l’intelligence aux besoins et aux industries, à la morale et aux affaires de la vie commune, à la poésie et aux arts, à la recherche du vrai et à la science. Sans doute la priorité appartient à l’état statique, et, si je puis m’exprimer ainsi, une priorité ascendante, je veux dire que c’est au sein des états statiques successifs que l’état dynamique exerce son action; mais cette priorité n’affecte en rien l’importance respective. Cela est si vrai que, s’il n’y avait que l’état statique soit chez les animaux soit à l’origine chez l’homme, il ne serait pas nécessaire de concevoir la sociologie; la biologie suffirait à expliquer ces rudimens.

Un phénomène se comprend surtout lorsqu’il est dans sa simplicité; quelque compliqués que finissent par devenir les états statiques, ils proviennent d’un faible commencement amplifié sous l’influence de l’état dynamique successif. Celui-ci a pour caractère essentiel de ne prendre naissance que dans l’association instinctivement et primordialement formée, et de n’être pas le propre de l’individu. Aussi est-ce par lui qu’on sépare positivement la sociologie de la biologie. Notons ceci, car c’est l’essentiel : séparation de la sociologie d’avec la biologie. L’état dynamique seul est ce qui constitue un nouveau domaine scientifique; l’état statique n’y suffirait pas: rudimentaire, il retomberait dans la biologie; compliqué et part importante de la sociologie, il est subordonné au développement historique. Le développement historique appartient à ce que j’ai nommé des résidus[1], résidus dont la science inférieure

  1. Voyez mon livre sur Auguste Comte, p. 304.