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(ici la biologie) ne peut rendre compte, et qui forment la base de la science supérieure quand arrive un génie qui sait les utiliser.

Ce génie fut pour la sociologie Auguste Comte. Saisissant le point qui était au-dessus des forces de la biologie, il y trouva le noyau d’une science indépendante et supérieure, et construisit la théorie du développement des sociétés, première œuvre hors de laquelle il n’y a point de sociologie. J’en ai pour garant l’étude de l’état statique et l’économie politique, dont M. Mill reproche tant l’omission à M. Comte, dont je dirai tout le bien que voudra l’illustre auteur anglais, mais qui pendant trois quarts de siècle a été cultivée par des esprits très éminens sans avoir durant ce long intervalle donné aucune vue d’évolution, incapable qu’elle est de produire des vues de ce genre et capable seulement d’être mise à son rang dans un ensemble sociologique. L’histoire est la partie première de la sociologie; l’état statique n’en est que la partie seconde, et l’économie politique est une portion de l’état statique. L’état statique est proprement et originairement biologique; l’état dynamique n’est jamais que sociologique. Si M. Comte eût cherché dans l’état statique la constitution de la sociologie, il ne l’y aurait pas trouvée, car, remontant de proche en proche, il serait arrivé à des conditions biologiques, et sa recherche se serait évanouie entre ses mains.

Je n’ai pas besoin d’exposer la théorie historique de M. Comte, elle commence à devenir célèbre parmi les penseurs; il me suffit de dire que le développement social passe par trois degrés : le degré théologique, qui est le plus ancien; le degré métaphysique, qui s’y adjoint et tend à le remplacer; enfin le degré positif, qui est le dernier et substitue les lois aux volontés et aux conceptions ontologiques. Cette théorie du développement n’est admise, je le sais, ni par les théologiens, ni par les métaphysiciens; mais ici ce n’est pas avec eux que j’ai à discuter, c’est avec M. Mill, qui y voit le plus haut des achèvemens de M. Comte. Le plus haut, à mon gré, n’est pas la théorie du développement historique, c’est la création de la philosophie positive. Quoi qu’il en soit, M. Mill ne met en doute ni la réalité ni la grandeur de cette théorie.

Mais comment ne serait-elle pas la constitution de la sociologie? Elle la sépare de la biologie, ce que nulle autre ne peut faire et ce qui est indispensable; elle la retire au domaine théologique en montrant que le cours des choses dépend non d’interventions providentielles, mais de conditions et de lois inhérentes aux sociétés; elle la soustrait à la métaphysique en écartant par la vue des choses les vues de l’esprit; enfin elle établit la base sur laquelle toutes les conceptions ultérieures doivent s’appuyer, aucune ne pouvant échapper aux formes et aux successions de l’évolution sociale. Qu’a fait de plus Bichat instituant la doctrine des propriétés élémen-