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nérale obtenue inductivement n’est prouvée vraie que quand les cas sur lesquels elle repose sont tels que, s’ils ont été correctement observés, la fausseté de la généralisation est incompatible avec la constance de la causation, avec l’universalité du fait que les phénomènes de la nature ont lieu conformément à d’invariables lois de succession. »

Tout ceci est de la logique ; j’en fais grand cas, et je m’intéresse singulièrement à l’étude qui nous enseigne les conditions imposées à la connaissance par la nature de notre esprit, et qui donne, si je puis ainsi parler, une sanction légale à nos raisonnemens ; mais est-il bien vrai que le plan suivi par M. Comte ne lui ait pas fourni l’équivalent de cette sanction ? Ce plan, qui est la combinaison de la hiérarchie des sciences avec leur philosophie, lui a procuré dans chaque domaine pour critérium de certitude le critérium même de chacune de ces sciences ; il est assez incontesté pour que je ne le discute pas ; ce critérium est l’expérience ou vérification.

Mais on me presse, et l’on me dit : Comment savez-vous que votre expérience, que votre vérification est valable ? Ici, tout au rebours de croire que l’expérience ait besoin de la logique, je crois que c’est la logique qui a besoin de l’expérience. Si les vérités scientifiques n’étaient vraies que logiquement, elles ne sortiraient pas du cercle des simples hypothèses ; mais c’est quand l’expérience les a fournies que se fait la théorie logique de l’induction. Bien loin que la philosophie positive dépende de la logique, c’est la logique qui dépend de la philosophie positive.

Ainsi dans le passage de M. Mill, cité plus haut, comment connaît-on l’universalité de la loi de causation ? Par l’expérience, non par la logique, car c’est une des excellentes opérations de la psychologie positive d’avoir démontré que la notion de cause n’est pas immanente à l’esprit humain. Cela posé, comment sait-on qu’une proposition générale de l’ordre scientifique est vraie ? En montrant que dans tous les cas qui se présentent l’expérience la confirme ; s’il survient des exceptions, il faut la sacrifier ou la modifier. Tout cela est si certain que nos inductions les plus assurées ne sont acceptées que sous le bénéfice d’une vérification constante, et la sanction que leur donne la logique ne peut leur ôter ce caractère relatif, c’est-à-dire qu’elle n’ajoute absolument rien à leur certitude. Il y a deux caractères de la vérité et de l’erreur, l’un mental donné par la logique, l’autre expérimental donné par les sciences. Ce n’est pas le caractère mental qui domine le caractère expérimental, c’est le caractère expérimental qui domine le caractère mental. M. Comte a suivi celui qui domine et n’a pas eu besoin de celui qui est dominé.

Une expérience se constate par intuition ; une induction, une dé-