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duction se vérifie par expérience, c’est-à-dire par intuition. La certitude scientifique est donc partout et toujours une certitude d’intuition ; elle ne demande pas sa preuve à la logique ou régularité des raisonnemens et des procédés ; elle la demande à l’expérience ou intuition. L’intuition, ne relevant que d’elle-même, constitue le critérium de la vérité objective, selon M. Comte et la philosophie positive. C’est ainsi que je résume ma réponse au quatrième chef d’objection.

Ici je pourrais m’arrêter. Le groupe mal limité, mal défini qu’on nomme psychologie n’est nécessaire ni à la constitution de la sociologie ni à la série des sciences telle que M. Comte l’a fixée, et son œuvre demeure intacte. Il faut, même après ces critiques, concevoir comme lui le monde, et, comme lui aussi, prendre pour méthode des méthodes, pour lumière des lumières cette hiérarchie du savoir humain qui pense et philosophe pour nous partout où nous la conduisons. Je pourrais, dis-je, m’arrêter ; mais considérer l’idéologie, la logique, l’esthétique, la morale par rapport à la philosophie positive, c’est une discussion qui, dans la tournure actuelle du débat, ne m’a pas paru dénuée d’importance.

Cette question m’occupe, me préoccupe même depuis longtemps, étant convaincu d’une part que la philosophie positive n’est ni défectueuse, ni incomplète, ni impropre à son service, et d’autre part inquiété par les longues liaisons que la psychologie, l’idéologie, la logique, la morale, ont eues avec la philosophie.

Mon éducation biologique ne me permettait pas de ne pas renvoyer à la biologie l’étude des facultés cérébrales, bien que les psychologistes y aient établi une part de leur domaine, et aussitôt naquit pour moi la distinction entre ces facultés et leurs produits, distinction dont j’ai usé précédemment pour faire le partage entre ce qui appartient à la physiologie cérébrale et ce qui n’y appartient pas.

La comparaison chez les animaux et dans les différens âges m’offrit une classification de ces facultés, fonctionnelle, non anatomique, mais pourtant naturellement hiérarchique : facultés de besoins, facultés affectives, facultés esthétiques, facultés intellectuelles. Le principe de la hiérarchie est la diminution croissante de l’empire qu’exerce la personnalité[1].

C’est de la place de ce groupe qu’il s’agit par rapport à la phi-

  1. Cette coordination des facultés cérébrales, je la consignai en 1859 dans mes Paroles de philosophie positive. Cela me parut alors une vue subsidiaire à la doctrine des trois états théologique, métaphysique et positif, par laquelle M. Comte a constitué la science sociale. Je n’ai point abandonné cette idée, du moins en ce sens qu’elle me semble pouvoir servir de base à une physiologie sociologique ; mais je confesse sans peine que de pareilles idées n’ont corps et valeur que quand, mises en œuvre, elles