Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
REVUE DES DEUX MONDES.

dire autant de toutes les statues qui peuplent, cette façade. N’en conservez que la moitié et logez-les un peu moins mal, elles feront un tout autre effet ; mais quel moyen de pratiquer des niches de grandeur raisonnable dans l’intervalle de pilastres si rapprochés les uns des autres ? N’importe ; on voulait des statues, on en voulait aux deux étages : les voici, tant pis pour elles si dans ces gaines elles sont trop à l’étroit.

N’essayons pas, la tâche est impossible, d’énumérer dans cette architecture tout ce qu’il y a de trop ; aussi bien ce n’est peut-être pas de cette façade entièrement neuve, ou aspirant à le paraître, qu’il y a lieu de s’étonner le plus. Le pavillon de Flore a droit évidemment à nous causer encore plus de surprise.

En effet, lorsqu’on reconstruisant un édifice on entend lui donner un aspect tout nouveau, il n’y a rien que d’assez naturel à changer non-seulement ses lignes principales, mais le système de sa décoration. Ainsi pour cette façade regardant le Carrousel, comme il est évident qu’en lui donnant plus de hauteur, en modifiant la forme des frontons et celle des baies du premier ordre, on a voulu faire quelque chose qui ne rappelât en rien la galerie d’Henri IV, on comprend, même quand on en gémit, cette prodigalité de sculptures comme un héroïque moyen de distinguer l’œuvre nouvelle de celle qu’on a voulu détruire ; mais le pavillon de Flore, qu’on n’avait pas dessein de rendre méconnaissable, dont on a conservé avec une intention marquée et les lignes essentielles et la silhouette générale, à quel propos le chamarrer de ces milliers d’ornemens ? Pourquoi, lui maintenant sa taille, sa tournure, ne pas lui laisser aussi ce costume simple et décent que porte encore son compagnon, son vis-à-vis, le pavillon de Marsan ? Pourquoi l’affubler ainsi ? Pourquoi cet habit de gala, toilette endimanchée que rien n’excuse ou n’autorise ? Non-seulement cette ornementation est d’une exubérance affligeante, mais elle est entachée, à un degré peut-être encore plus fort, de l’incohérence de style qui déjà nous avait frappé sur la nouvelle façade du Carrousel. À côté de sculptures simulant les délicatesses des meilleurs temps de la renaissance, sculptures méplates s’il en lut, reliefs modérés et sobres, vous voyez poindre au-dessus de votre tête des figures posées à la Michel-Ange sur les rampans de frontons échancrés, figures en pleine ronde-bosse et du mouvement le plus accentué. Il faut vivre dans un temps comme le nôtre, avoir l’amour, le culte des contradictions pour s’aviser en même temps sur le même monument de se faire le disciple de Jean Goujon et du Bernin. Quel étrange gâchis ! quel bizarre amalgame ! Et remarquez que ces groupes téméraires, ces surplombs effrayans, ces tours de force pleins de péril