Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/883

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et votre cœur. Je ne pense pas qu’elle se contente de si peu, ni que le petit caprice qu’elle peut avoir pour vous résiste longtemps aux privations. Croyez-moi, ce bel oiseau de paradis ne tarderait pas à regretter les barreaux dorés de sa cage, son nid d’édredon et sa mangeoire toujours pleine.

— Vous n’entendez rien aux questions de sentiment! murmura le jeune homme indigné.

L’homme grave fit un sourire de pitié, fronça le sourcil et levant les yeux au ciel : — Incorrigible! dit-il. Et il ajouta en faisant la roue : — N’espérez pas que je vous accompagne; ma maison, mon parc, mes arbres de haute futaie... Que l’amour vienne me chercher s’il lui plaît! Je ne courrai pas après lui. J’ai pris racine ici, et j’entends partager mon temps entre l’administration de mon domaine et le plaisir de raisonner.

Cette discussion menaçait de se prolonger jusqu’au matin. Je me dressai sur mon séant et criai d’une voix de stentor : — Silence, messieurs! Vous avez la manie de discuter ce qui n’est pas en question. Paix ! laissez-moi dormir.

À ces mots, je n’aperçus plus personne, ni près de la fenêtre, ni dans le fond de la salle, et je ne tardai pas à m’endormir. le bon sommeil de propriétaire !

Dès que je fus levé, je pris une plume et j’écrivis : « Il faut dire non. Du courage. Je me charge et je réponds du reste. » Après quoi, ayant mis le papier sous enveloppe, je le serrai dans un carnet que je gardai dans ma poche jusqu’au soir.

La journée me parut longue; j’en employai une partie à errer comme une âme en peine sous mes ombrages déjà jaunissans. Je descendais de la maison jusqu’au lac, je remontais du lac à la maison, je m’asseyais par instans, mais je ne pouvais demeurer en place, les pieds me démangeaient, et je recommençais à rôder.

Je ne sais si l’oiseau bleu dont m’avait menacé M. Adams est venu nicher dans un de mes châtaigniers; mais des fumées de romantisme me montaient à la tête. Il me ressouvenait de certains passages des poèmes de la Table-Ronde, et ces vieux vers chantaient comme des rossignols dans un coin de ma cervelle. C’est l’endroit où Tristan, contrefaisant le fou, s’en vient trouver le roi Marc et le prie de lui céder Yseult. — Dieu te bénisse ! répond le bon roi à ce niais de Sologne; mais si je te donnais la reine, fou, dis-moi, qu’en ferais-tu, et en quelle part du monde la voudrais-tu mener? — Roi, fit le fou, là-haut, dans l’air, j’ai une maison où je loge la nuit. Elle est grande et belle, les murs en sont de verre; elle pend au ciel, parmi les nuées, et il n’est vent si fort qui la puisse secouer. Dans ce palais est une chambre faite de cristal et d’ambre. Le soleil à son lever y répand d’étranges clartés.