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selle sympathie qui nous permet de pénétrer les secrets de tous les peuples et de tous les siècles? Nous aurions à en apprendre à Varron sur les commencemens de Rome, à Aristote sur les origines de la religion grecque. Nous avons conquis l’espace et le temps; nous nous sentons partout chez nous. Il est malaisé d’être soi quand on comprend si bien les autres. Excusez nos archivoltes romaines et notre gothique flamboyant. Nous avons plus d’intelligence que de génie. Onc ne furent à toits toutes grâces données... Voilà les concessions que je vous fais; mais vous n’en faites point, vous, jacobin blanc, qui croyez qu’un siècle a tout possédé, et que nous n’avons rien.

— Il m’est permis d’avoir des dogmes, me répliqua-t-il. Je puise mes idées à la source des éternelles vérités. Je suis chrétien, et il ne m’est pas permis de douter que le christianisme n’ait les secrets de la vie présente comme de l’autre. Le crucifix explique tout.

— Le christianisme, lui dis-je, est un levain; mais à quoi sert de faire lever la pâte quand la pâte est gâtée? Eh! je vous prie, dites-moi ce que la religion nouvelle fit de l’empire romain? Elle le pourrit jusqu’aux os, et le bas-empire fut son œuvre. Ah! convenez-en, pour que le christianisme sauvât le monde, il fallut d’abord que les barbares sauvassent le christianisme.

Il ne répondit rien à cela. Certaines convictions lui tiennent trop au cœur pour qu’il consente à en disputer. A son tour, il rompit les chiens. — Ce qui me réjouit, reprit-il, c’est que vous devenez raisonnable. Vous ne croyez plus guère au progrès, et je vous vois professant la doctrine des compensations. Tous les siècles se valent : à l’un le génie, à l’autre l’intelligence; que chacun s’en tienne à son lot!

— Vous m’entendez mal, lui dis-je.

— Eh quoi! ne conveniez-vous pas tout à l’heure qu’en fait de bonheur et de vertu, ce que nous gagnons d’un côté, nous le perdons de l’autre, que partant, d’un siècle à l’autre, les choses sont toujours égales?

— Vous êtes un plaideur à outrance, lui dis-je, et vous ne faites point de quartier. N’accordant rien, retranché dans votre éternel non possumus, vous jouez serré contre l’adversaire qui vous donne des points. C’est l’esprit de l’église.

— Ce sera ce que vous voudrez; mais je jouis de votre embarras. Reprenez ce que vous m’avez cédé, sinon...

— Vraiment, interrompis-je, me croyez-vous embarrassé? Ce que je vous ai cédé, gardez-le. Je ne suis pas un disciple de Saint-Just, je n’admets pas sur sa parole que la révolution ait inventé le bonheur et la vertu. Eh ! bon Dieu ! de la vertu, du bonheur, il y en eut dans tous les temps; mais où trouverons-nous des balances