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accorder les honneurs de la guerre. Elle avait le droit, disait-il, de faire ses conditions; tout se passerait selon les règles, un contrat serait dressé en bonne forme, et deux témoins instrumentaires y apposeraient leur signature.

Je lui ris au nez. — Vous plaisantez, lui dis-je. Vous avez déboursé mille écus et reçu un coup de couteau d’un vieux Turc. Allez, Georgette est bien à vous. Qu’avez-vous affaire d’un contrat, de témoins? Le grand-seigneur, quand il jette son mouchoir, s’astreint-il à ces petites formalités? C’est faire beaucoup de cérémonies pour disposer de votre bien.

Il ne se fâcha pas, mais me répliqua posément qu’il ne se décidait jamais à la légère, que le consentement est la base des contrats et que Georgette était consentante, que j’étais libre de m’en assurer, qu’au demeurant il n’était pas un jouvenceau à coups de tête, qu’en s’unissant à la face du ciel avec la femme qu’il aimait il entendait contracter un engagement très sérieux, que cela était écrit sur son agenda, mais qu’en sa qualité d’homme libre il ne pouvait permettre à la société d’intervenir dans ses petites affaires privées, et qu’il prétendait donner un exemple sur lequel se régleraient les générations à venir.

Tout en l’écoutant, je m’avisai que ce pouvait bien être Georgette qui lui avait suggéré l’idée de ce contrat. Apparemment elle avait voulu se ménager un moyen de protester contre la violence qui lai était faite et me mettre en demeure de lui venir en aide. Le baronnet donnait tête baissée dans le panneau; il était trop sûr de son fait pour soupçonner qu’il pût y avoir anguille sous roche.

J’affectai de faire quelques difficultés avant de consentir à ce qu’il me demandait. — Enfin, lui dis-je, puisque vous travaillez au bonheur du genre humain, je me ferais une conscience de vous refuser; mais qui sera notre second témoin?

— Nous allons nous rendre de ce pas chez M. de Lussy, me répondit-il.

Je pris ma canne et mon chapeau, et nous partîmes. Armand n’était pas chez lui. Le baronnet me proposa d’attendre son retour, et, pour passer le temps, entreprit d’examiner sous toutes ses faces le pauvre vieux château, contre lequel il décocha force épigrammes.

Il est certain que ce manoir a un air de vétusté, de mélancolie sans pareille, une physionomie malingre et souffreteuse. Les murailles en ont été déformées par une sorte de rachitisme qui leur a fait subir d’étranges déviations. Elles se sont retirées et rétrécies par endroits; ailleurs elles se ballonnent et font ventre. Partout des gerçures, des taches; du côté de l’ouest, de longues traînées verdâtres, des traces de pluie mal essuyée, des sueurs étranges;