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n’est pas douteux que, pour l’immense majorité du public français, l’Ecosse est le pays de Walter Scott, de Robert Burns, des ballades d’aventures, de batailles et d’amour, de Walter Scott surtout, car c’est par lui que nous avons connu Burns et les-ballades.

Cependant ce n’est pas seulement par ses poètes que l’Ecosse s’est fait connaître au monde. L’ardeur, le feu, que le vieux Buchanan prête à ses compatriotes, ingenium Scotorum perfervidum, ce n’est pas l’ardeur, ce n’est pas le feu poétique, et si les Anglais, leurs voisins, n’avaient entendu sortir d’une bouche écossaise que des chants et des vers, ils n’auraient pas créé cette expression proverbiale : « l’Ecossais froid et logicien. » Nous-mêmes, nous ne les connaissions pas trop mal autrefois, puisque Joseph-Juste Scaliger disait au XVIe’ siècle : « Les Escossois sont bons philosophes. » Philosophes, ils l’ont été bien avant d’être poètes, et surtout bien plus longtemps. L’évolution ou, pour emprunter une expression à l’écrivain même qui nous fournit l’occasion de cette étude, l’avatar de l’esprit écossais dans la littérature est postérieur à la manifestation de ce même esprit en philosophie. Les calvinistes avaient brisé la harpe des ménestrels. Knox fut pour Robert Burns et Walter Scott un terrible devancier; il pétrit l’intelligence écossaise non-seulement de foi, mais d’amour pour le syllogisme théologique, de haine pour tout ce qui était poésie, et cela si bien que deux siècles ont passé sur la vieille littérature anonyme des ballades et chansons sans la rappeler de la tombe où elle avait été ensevelie en même temps que Marie Stuart. A peine Allan Ramsay, l’auteur du Gentil Berger, put-il renouer la chaîne de l’art et des joies de l’imagination au commencement du XVIIIe siècle, et grâce à l’amollissement de la sévérité puritaine; mais à partir du XVIIIe siècle il y a un compromis entre la poésie et la logique, entre l’imagination et le syllogisme, et la critique est née de ce rapprochement.

Ces réflexions nous sont inspirées par la rencontre d’un écrivain écossais dans les rangs de la critique anglaise militante. L’Angleterre n’a jamais manqué de poètes; elle a quelquefois emprunté des critiques et des philosophes à l’Ecosse. La critique anglaise de notre siècle a pour ainsi dire pris naissance à Edimbourg. Là elle reçut le baptême de feu des mains de lord Byron, qui ne dédaigna pas de tourner contre elle l’artillerie de ses vers les plus irrités : le titre même de la satire, les Bardes anglais et les Critiques êcossais, distribuait les rôles littéraires entre les deux contrées, comme si l’Angleterre avait été créée pour faire des vers, l’Ecosse pour les enregistrer. Là elle s’affirmait et se consolidait même en ses défauts le jour où Jeffrey disait à Walter Scott, qui se plaignait de l’esprit de parti trop sensible dans son recueil : « Il faut qu’une revue