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I.

Deux nations ont été réunies, une petite et une grande : laquelle restera la plus homogène, laquelle se souviendra le plus obstinément de sa nationalité? Sans contredit ce sera la petite. Quand Robert Burns visita Edimbourg dans l’hiver de 1786 à 1787, les questions que la curiosité de tous posait à ce laboureur poète se réduisaient à celle-ci : « comment avez-vous appris à manier la langue de la poésie en tenant la charrue? » Il y répondit par ces vers caractéristiques dans la pièce A la bonne femme de Wauchope-house :


« Dès que pour la première fois au milieu des moissonneurs — je fus compté pour un homme, — dès lors je sentis le désir (et combien il était ardent!), — le désir qui jusqu’à ma dernière heure sera un poids sur ma poitrine. C’était que moi, pour la pauvre vieille Écosse, — je pusse faire ou quelque projet ou quelque livre utile, — ou composer au moins quelque chant. — Si je trouvais le rude chardon qui s’étale — au milieu de la moisson, — je tournais la faux d’un autre, côté, — et j’épargnais le symbole cher à la patrie : — aucun pays, aucun rang — ne pouvait exciter mon envie. — Écossais toujours, sans tache toujours! — Je ne connaissais pas de plus haute louange. »


Voilà bien les mâles et simples accens d’un poète lyrique, et ce poète attribue tout son talent à son patriotisme; c’est la pauvre vieille Écosse qui lui a montré à faire des vers. La petite patrie est plus passionnée, parce qu’elle a dû faire plus d’efforts pour combattre la grande, et quand elle a été absorbée, elle continue cette lutte dans le domaine de l’intelligence; elle se défend, elle se concentre; elle est une pensée fixe pour ses poètes comme autrefois pour ses soldats. Voulez-vous une preuve du même patriotisme dans un philosophe? Hamilton, l’Aristote écossais, qui est mort depuis peu d’années, a par momens dans ses notes érudites des accès de nationalité qui montrent tout à coup la toque et le plaid calédoniens. Il s’en va recueillant avec religion les cendres des Balfour, des Duncan, des Chalmers, des Dalgarnos, autant de professeurs de philosophie, aujourd’hui oubliés, que l’Écosse a fournis aux universités de l’Europe. Avec quel orgueil il réclame à l’Angleterre son Newton, dont les ancêtres étaient d’Écosse! Et l’illustre Kant, qui est son maître, n’avait-il pas du sang écossais dans les veines? Il n’est pas jusqu’à notre Destutt de Tracy qu’il ne nous ôte; il était Écossais, et aurait dû s’appeler de son vrai nom Stott ! Après de tels échantillons non pas de vanité nationale, mais d’orgueil patriotique, je ne m’arrêterai pas à la passion bien naturelle de Waller