Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/915

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et que c’est seulement depuis la distinction des whigs et des tories qu’il a une boussole. Personne plus que nous n’est disposé à reconnaître les grands services que whigs et tories, dans leur rivalité égoïste, ont rendus au pays. Ils ont fait, sans le vouloir toujours, l’éducation de la liberté anglaise; dans leurs luttes, ils ont été assez heureux pour ne lui porter aucune blessure sérieuse. Comme des tuteurs jaloux, à la faveur d’une surveillance réciproque, ils l’ont menée jusqu’à complète émancipation. En second lieu, si l’admiration du XVIIIe siècle au point de vue de la politique a été un moyen d’opposition et de gouvernement pour les whigs de nos jours, le mépris du XVIIIe siècle au point de vue de la littérature a été singulièrement augmenté et répandu, grâce à un renouvellement, à un revival littéraire qui a réveillé des accens tels que ceux de Wordsworth, de Coleridge, de Byron, de Shelley, et suscité des imaginations comme celles de Scott, de Dickens, de Thackeray.

J’ai dit comment la littérature du siècle dernier a trouvé des censeurs sévères parmi ceux même qui se faisaient les panégyristes de la politique de ce siècle ; il importe maintenant de montrer quelle influence exerça cette politique qu’on admire sur cette littérature qu’on méprise, et d’exprimer sur cette dernière un jugement équitable. Hormis Shakspeare et Bacon, exceptions glorieuses, égales à tout ce que les autres nations peuvent citer, le génie anglais ne se pique pas de largeur et d’étendue ; mais, il faut l’avouer, le XVIe et le XVIIe siècle de la Grande-Bretagne se distinguent par la hardiesse : une certaine grandeur même ne leur manque jamais. Tout cela disparaît à peu près au XVIIIe siècle. Tout se rapetisse. L’esprit tourne à la satire et à la moquerie; la foi comme la poésie languit et se dessèche. Une sorte de lit de Procruste semble être la mesure fatale des œuvres de ce temps. Voilà le résultat fâcheux des luttes des whigs et des tories pour la littérature. En effet, supposez une lutte analogue au XVIe siècle, quand on ignorait les noms de tories et de whigs : quelle vivacité ! quelle sincérité! quelle franchise atteignant au sublime, puisque poètes et prosateurs de ce temps-là ont été si admirables, même avec si peu de liberté politique! Supposez-la au XVIIe siècle, quand les tories et les whigs ne sont pas encore sur la scène : déjà la discussion eût été moins sincère, déjà il y avait le parti des puritains et des cavaliers; mais le champ était encore assez vaste pour engager le débat du bien et du mal, le seul digne d’une société vraiment humaine. Qu’était-ce donc que ces discussions de whigs et de tories? Où était le bien? Où était le mal? Où étaient les principes de la raison, de la liberté, de la vertu ? Qui pouvait le dire?

Les tories, en politique, défendaient la prérogative royale, mais